Grit fume la pipe. Grit dort dans la véranda. Grit a été célèbre en son temps, avant de tomber malade.

 

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Grit a longtemps été absente. A-t-elle jamais été là, quand sa carrière lui prenait tout son temps ? À présent, Grit vit avec sa fille Wanda et ses deux enfants dans la ferme qu’elle a achetée avec Hias, il y a longtemps. Hias est parti avec une autre femme. Iwa, la sœur, est partie, elle aussi, tout comme Nils et comme Gunnar. Reste Wanda, qui n’est plus sûre de rien. Rarement personnages auront autant eu la tête ailleurs que dans ce très court roman où nul ne semble vraiment à ce qu’il fait. Après La Payîsanna (Editions d’En bas, 2020), Noëmi Lerch persiste dans la même veine un peu languide, énigmatique et poétique. Fuyant la linéarité et même toute idée de scénario, de courts chapitres numérotés déroulent un récit dont chaque spire ajoute au mystère autant qu’il l’enrichit de touches sensibles, familières, ancrées dans un quotidien que, sans le fuir, les personnages ne font que côtoyer. « (…) Peu importe où tu vas. Que tu traverses la poussière ou la neige, la terre noire fraîchement labourée ou les gerbes de blé doré. Une fois qu’on s’est mis en route, on ne peut plus revenir sur ses pas » dit la mère à sa fille. Et pourtant, présent et passé se mêlent en un clair-obscur où le temps semble confire lentement son éternel retour. Aveugle d’un œil, Wanda garde le bon sur sa mère et son long manteau d’officier, dans lequel elle rapetisse chaque jour un peu plus, au point de faire craindre à sa fille « qu’elle ne disparaisse subitement, emportant de manière irrémédiable et irrésolue tous les secrets qui liaient sa vie à la sienne ». Cela ne sera pas. Pas avant qu’un ultime et lumineux chapitre ne restitue sa véritable stature à celle qui fut sans doute une mauvaise mère suivant les critères établis, mais n’en reste pas moins une géante, à l’image de cet antique pin à l’ombre duquel fut bâtie la maison, si grand qu’on ne le voit plus.

Yann Fastier