Dans Lola Bensky, premier roman de Lily Brett à être traduit en français,

 

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l’auteur nous contait les péripéties hilarantes d’une jeune australienne boulotte catapultée en plein Swinging London, dans un milieu rock dont elle ne connaissait rien et se retrouvait à recueillir les confidences des stars pour un magazine en vue. Lily était Lola.

Dans Show devant, Lily Brett continue à mettre en scène sa propre existence, sous les traits de Ruth, une femme new-yorkaise d’âge mûr qui a fondé, avec succès, une agence de cartes de vœux « psychologisantes ». Tout va bien pour Ruth. D’accord, elle s’inquiète pour sa ligne (c’est une ancienne grosse). D’accord, elle est névrosée (elle est américaine). Mais elle gère. Jusqu’à ce qu’elle fasse venir son père d’Australie. Edek a quatre-vingt sept ans. C’est un vieux juif veuf, d’origine polonaise, unique survivant d’une famille décimée à Auschwitz. Edek a une patate d’enfer. Malgré un anglais balbutiant (qui entraîne nombre de quiproquos désopilants), Edek veut tout voir, parler à tout le monde, s’occuper de tout et surtout de la gestion des stocks de l’entreprise filiale. L’argent n’a aucune importance. Il n’en a pas. Alors, pourquoi ne pas dépenser celui de Ruth, commander des stocks de papier toilette pour les vingt ans à venir et débarquer toutes les trois minutes dans son bureau pour vérifier la bonne marche de l’établissement ? De quoi faire péter les plombs à Ruth/Lily. Mais il est si gentil, si seul, si attendrissant. Et elle se sent tellement coupable. Puis, il ne manquait plus que ça, il décide d’accueillir chez lui Zofia et Walentina, deux dames polonaises rencontrées lors d’un pèlerinage sur la terre de ses ancêtres. Zofia a la soixante-dizaine pimpante et fait parfaitement les boulettes. Edek se met en tête d’ouvrir un resto. Il n’y connaît rien. Ruth tente de l’en dissuader. Elle sait qu’il court à l’échec. Le resto de boulettes fait un malheur.

La fiction sied à Lily Brett. Elle permet toute la distanciation nécessaire pour aborder des thèmes moins légers qu’il n’y paraît : l’holocauste, le vieillissement des parents, la place des femmes. Elle permet l’excès qui entraîne le rire. La chronique d’un Manhattan en pleine boboisation sonne si juste qu’on ignore le vrai de la caricature, comme lorsque Ruth fait des cartes de condoléances pour chiens. Et Edek est tellement irrésistible On pense à Albert Cohen dans sa peinture d’une famille adorée et envahissante. Ruth s’inquiète de tout, comme tous les enfants des descendants des camps. Edek est à fond, tout le temps, comme les survivants. Pour rattraper le temps perdu, vivre pour ceux qui sont morts. Le plus longtemps possible, comme une revanche sur les bourreaux.

Aux dernières nouvelles, le « véritable » Edek vient de fêter ses cent ans. On ignore si son histoire d’amour avec Zofia continue.

Marianne Peyronnet