La lecture de ce livre est un véritable supplice.

 

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Tantale, vous connaissez ? Imaginez un vestibule où s’ouvriraient 156 portes dont chacune donnerait sur des dizaines d’autres, comme autant d’entrées de service à la Bibliothèque de Babel. De quoi faire tourner les têtes les plus solidement vissées. On avouera cependant sa légère passion bibliomane avec d’autant moins de vergogne que la vocation de cette somptueuse collection de portraits, parus pour la plupart dans Le matricule des anges, est précisément de susciter le désir. Elle y parvient, mieux que le plus sulfureux habitant de l’Enfer de la Bibliothèque Nationale. Pourquoi oublie-t-on des écrivains ? Il y a autant de bonnes que de mauvaises raisons : Saturne, seul, ne saurait faire le tri des élus et des réprouvés, des génies littéraires et des plumitifs à reléguer au cul de basse-fosse des vide greniers. Certains, de leur vivant, furent déjà des professionnels de la scoumoune, jamais là où il faut quand il faut, et ratèrent de peu des occasions en or. D’autres ne surent tout simplement pas se vendre en un temps où il serait bien vain d’imaginer que le seul talent valait accès direct à la postérité. D’autres, comme Edmond About, Maurice Dekobra ou Gabriel Chevallier, eurent au contraire bien trop de succès pour ne pas susciter après leur mort la méfiance des « gens de lettres », quand bien même ils ne seraient finalement pas dépourvus de mérites. D’autres, enfin, n’eurent en 1945 ni la ruse manœuvrière d’un Céline ni, comme Drieu La Rochelle, assez de gardénal en réserve pour se refaire une virginité dans la mort. Il vaut donc toujours la peine d’affûter un peu sa curiosité et de souffler la poussière des vieux bouquins : on n’y risque pas grand-chose, sinon de débusquer quelques perles - moins rares qu’il n’y paraît, comme en atteste la liste établie par Eric Dussert, de son propre aveu loin d’être exhaustive : petits romantiques, symbolistes obscurs et naturalistes attardés, anarchistes, zutistes et hydropathes, poètes diplomates, chroniqueurs désargentés et journalistes flambeurs, princesses russes, marins opiomanes, aventuriers afghans, tous ont ici leur rond de serviette, tous ont laissé des traces souvent fort belles, en tout cas toujours dignes d’intérêt. Suffisamment, en tout cas, pour qu’un certain nombre de « petits » éditeurs (quand cessera-t-on de minorer ainsi les seuls éditeurs qui fassent encore leur boulot ?), à l’enseigne de L’arbre vengeur, de Finitude, du Dilettante… en fassent désormais les pierres d’angle de leurs plus jolis édifices. Ainsi se jettera-t-on sur Francis de Miomandre, Henri Roorda ou Théo Varlet, André Martel, Ilarie Voronca et Gabriel de Lautrec, tirés par la manche et sortis du placard par un Eric Dussert enthousiaste et convaincant. Si convaincant que l’on se prend à se rêver soi-même une âme de sauveteur. Emmaüs, après tout, n’est pas fait pour les chiens et moi aussi j’ai mes pauvres : connaissez-vous Sabine Sicaud, Jean Fontenoy, Madeleine Brent, Jan Weiss, Gilbert de Voisins, Georges-Anquetil, Henri Monier… ?

Yann Fastier