Que peuvent les images face à des catastrophes humanitaires telle que la « crise » migratoire en cours

 

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qui, chaque année, voit des milliers d’exilés se perdre et mourir aux portes d’une Europe devenue forteresse ? Rien, sans doute ou peu de choses quand la presse n’a jamais si bien porté son nom et qu’un cliché chasse l’autre au pas de charge de l’urgence journalistique.

Mathieu Pernot, lui, n’est pas journaliste, il croit au temps long. Certains de ses projets – autour de la famille Gorgan, des grands ensembles – se sont développés pendant des années, donnant lieu à diverses extensions parfois de grande ampleur. L’exode, l’exil des populations est un autre de ces thèmes qu’il creuse patiemment, série après série. Des migrants, on n’en trouvera pourtant pas ou presque pas dans ce livre avant tout dédié à leurs traces : ruines de villes rasées par la guerre, amas de gilets de sauvetage jonchant les îles grecques, abris de fortune des diverses « jungles » où ils s’entassent, vêtements brûlés, souillés, laissés derrière eux ou bien cahiers d’écolier où certains auront consigné leurs rêves et leur route, Mathieu Pernot collecte ces témoignages, fragiles et par nature éphémères, et les confronte en un vaste ensemble placé sous l’égide de l’« Atlas Mnémosyne » d’Aby Warburg. Sur les murs de sa très vaste bibliothèque, l’historien d’art allemand avait réuni des centaines de reproductions d’art qu’il réarrangeait constamment pour souligner les rapports qui les sous-tendaient et tracer une véritable histoire des formes à travers leurs trajectoires temporelles. Selon un principe similaire et une tradition ancienne de l’atlas qui se voulait avant tout collection de documents divers et pas seulement cartographiques, Mathieu Pernot dresse quant à lui un triste et édifiant atlas de l’exil. Partant de l’adage selon lequel nous vivons tous sous le même ciel, il fait commencer son livre par des vues astronomiques annotées en arabe par l’astronome syrien Muhammad Ali Sammuneh, reproduisant l’état du ciel à chacune des principales étapes de son voyage sans retour. Puis ce seront des planches botaniques légendées par Marwan Cheikh Albassatneh, spécialiste de la diffusion de la flore méditerranéenne, puisque les plantes migrent, elles aussi… Ainsi, par la bande, en multipliant les angles et les approches toujours pertinents, dresse-t-il en creux un véritable monument à la mémoire de ceux qui, un jour, ont dû partir et dont beaucoup, malheureusement, ne sont jamais arrivés. Puisse ce livre, parmi les plus forts sur le sujet, servir un jour de témoin à charge contre une Europe qui n’aura cessé de piétiner ses propres valeurs et dont ces images signent à jamais la honte.

Yann Fastier