La scène d’ouverture donne le ton et installe d’entrée tous les éléments narratifs qui seront constitutifs de l’ensemble de l’histoire.

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Oscar Caskey, fils d’une riche famille de propriétaires, arpente, dans une barque menée par son employé noir, les rues dévastées de Perdido. La ville est sous les eaux. La rivière en crue a tout emporté. Les habitants ont fui sur les hauteurs. Dans ce paysage sinistre, silencieux, Oscar découvre Elinor, réfugiée dans un hôtel. Il la secourt et la recueille dans la somptueuse maison qu’il habite avec sa mère Mary-Love. Entre les deux femmes s’engage un combat à mort.

Roman feuilleton (découpé en six épisodes La Crue, La Digue, La Maison, La Guerre, La Fortune et Pluie), Blackwater est une saga familiale mâtinée d’étrange publiée aux Etats-Unis en 1983. S’étalant de 1919 à 1970, elle déroule les affres et les succès d’un clan de nantis ayant fait leur fortune grâce à l’exploitation du bois. Des membres s’y agrègent, d’autres en sont bannis. Haines et coups-bas se succèdent au gré d’alliances, de mariages ou de morts violentes. Pour un peu, on ne serait pas loin de séries telles Dallas ou Succession.

L’histoire des Etats-Unis se découvre en filigrane au fil des pages et des mésaventures subies par les différents protagonistes. L’action s’étale sur plus de 50 ans, dans une ville du sud de l’Alabama et la société décrite est ancrée dans son époque. La famille Caskey règne sur la petite communauté. Sa fortune profite à tous, en apparence. Ils emploient un grand nombre d’ouvriers dans leur scierie et fixent les règles, paternalistes en diable, méprisants avec leurs domestiques – anciens esclaves – sous des airs de bons gestionnaires. Les castes perdurent en Alabama et les différences sociales ne font que s’amplifier lors de la Grande Dépression ou pendant la seconde guerre mondiale.

Mais, comme dans les œuvres d’un Maupassant ou d’un Stephen King, l’étrange fait des incursions dans le récit, donnant tout son charme à la série, et l’on ne s’étonne pas que l’auteur ait écrit les scénarios de Beetlejuice et de L’étrange Noël de Monsieur Jack. Mystères, secrets se font de plus en plus présents, dans des scènes intenses où surnaturel et horreur sont savamment dosés. McDowell excelle à placer des touches de bizarre dans le réel, à des moments clés, qui donnent envie de savoir la suite. Saura-t-on qui est Elinor, cette femme à la chevelure aussi rouge que les eaux de la Perdido ? D’où vient-elle et quels sont ses desseins ? A l’image de la nature environnante, elle semble tour à tour bienfaisante ou menaçante, comme la rivière elle-même. Elinor fascine, elle dérange aussi.

L’un des points forts de Blackwater est de ne jamais faire pencher la balance en faveur d’un personnage ou l’autre. Si les femmes sont le centre de l’histoire, si elles perpétuent les héritages, donnent des enfants à la famille et gèrent les affaires (les hommes n’étant que des êtres faibles, mous ou souffrants d’addictions), elles évoluent selon les circonstances et les drames, et notre affectation n’est jamais dirigée vers aucune d’entre elles en particulier. Elles subissent les aléas de leur existence, qu’ils soient tangibles ou fantastiques. Elles sont mouvantes, comme notre regard sur elles. Elles sont incroyablement singulières et belles, comme les couvertures des six livres regroupant Blackwater.

Marianne Peyronnet