Il y a Lucky Luke et Lucky Luke.

 

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 On ne saurait confondre le zombi franchisé qui, à l’instar d’Astérix ou d’Achille Talon, se survit depuis la mort de ses créateurs sous la plume mercenaire de tâcherons tenus par contrat de proroger la routine commerciale d’un personnage avant tout chargé d’alimenter la caisse et l’icône dont l’éditeur cherche de temps à autre à raviver les couleurs en la confrontant à l’univers de quelque auteur en vue. Après Mathieu Bonhomme, Guillaume Bouzard et Mawil, c’est donc au tour de Ralf König de se frotter au plus célèbre cow-boy de la BD franco-belge. Se frotter, si l’on peut dire car, de son propre aveu, le plus célèbre dessinateur gay de la BD allemande avait reçu pour consigne impérative de ne pas faire du beau Luke l’homosexuel dont vous rêviez, petits coquins. Résolument gay friendly, il se contentera donc de faciliter les amours contrariées de Bud et Terry, tout frais émoulus du Secret de « Bareback » Mountain, en proie à l’intolérance des habitants de Straight Gulch. S’étant naguère connus dans la montagne et dans tous les sens du terme, les deux cow-boys en sont encore à se chercher lorsque Lucky Luke se trouve chargé de convoyer de précieuses vaches laitières pour le compte d’un fabricant de chocolat suisse. S’ensuit un désopilant imbroglio où se croiseront fans énamourés, chasseur d’autographes, vieilles lesbiennes mal embouchées et sous-vêtements « long john », sans parler bien entendu des Dalton, presque obligatoires en la circonstance. Trop obligatoires, et c’est le seul regret qu’on exprimera s’agissant d’un album qui fait largement oublier le décevant Wanted Lucky Luke de Mathieu Bonhomme : s’il intègre avec beaucoup d’ingéniosité l’homme qui tire plus vite que son ombre à son propre univers, Ralf König n’en cède pas moins par moments à la tentation de la mise en abyme qui guette presque invariablement l’auteur en service commandé d’hommage aux grands anciens. De la référence à la déférence, il n’y a jamais loin et c’est un peu gênant, s’agissant d’une histoire dont la réjouissante impertinence se trouve ainsi neutralisée par des clins d’œil trop appuyés. Mais ne boudons pas notre plaisir : malgré tous les bémols, ces Choco-boys ne s’en dégustent pas moins comme une bonne praline, qu’il convient, comme chacun sait, de sucer, sans croquer ni mâcher.

Yann Fastier