A 51 ans, Clio Campbell vient de mettre fin à ses jours.

 

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Chanteuse à la voix et à la plastique divines, reconnaissable entre mille à sa longue chevelure rousse d’écossaise, elle avait été mondialement célèbre au début des années 90 pour un unique tube, « Rise up », une chanson engagée qui disait sa hargne contre Thatcher et sa Poll Tax. Puis, plus rien. Malgré différents disques enregistrés, de folk notamment, le grand public n’a que peu entendu parler d’elle. Ringardisée. Oubliée. Au lendemain de son suicide, amis et critiques racontent les souvenirs qu’ils gardent d’elle. A travers leurs différents témoignages, le lecteur tente de se faire une idée de sa personnalité.

En 500 pages d’un livre foisonnant, entre flashbacks, faux articles de tabloïds, critiques de disques dans lesquels divers chroniqueurs encensent ou éreintent l’artiste selon les époques, interviews sur le vif de protagonistes plus ou moins proches d’elle au moment du drame, Kirstin Innes découpe son roman en infimes parties, et livre le puzzle d’une vie dont les pièces seraient finalement trop nombreuses pour être reconstitué. Sans parler des morceaux manquants. Tour à tour vue comme une victime d’une industrie musicale prompte à se débarrasser de « produits » vite périmés ou comme incapable, à force de caprices et d’addictions, de consolider une carrière prometteuse, Clio demeure insaisissable. Etait-elle manipulatrice, elle qui met en scène sa fin de vie comme la pire des divas, ou une amie sincère sujette à des passages dépressifs la laissant sur le carreau ? Etait-elle la passionaria de toutes les causes perdues, toujours militante, enragée au point de ne pouvoir mener de front son métier et son engagement, ou un monstre d’égoïsme incapable de sentiments dénués de calculs ? Ni ses anciens amants ni les journalistes qui ont couvert ses frasques et ses enregistrements, ni ses plus intimes confidents ni aucun membre de sa famille n’apportent de réponse définitive et fiable.

Cette profusion de points de vue, qui aurait pu lasser, loin de perdre le lecteur, s’avère au contraire passionnante, d’une richesse infinie. Entre chansons à textes et pop commerciale, au gré des standards du folklore écossais incompris de ses anciens fans, nous suivons les hauts et bas de l’existence de l’héroïne, sans jamais entendre sa voix intérieure. Nous nous laissons guider sur le chemin qu’elle a emprunté, cette égérie de toutes les luttes couvrant trente ans de politique britannique. Indignation face à la façon dont on la traite en tant que femme, dégoût face aux trahisons endurées, empathie face aux tourments de son âme, agacement face à son incapacité à concrétiser ses projets, nos sentiments se succèdent, sans jamais pouvoir arrêter notre jugement sur son compte. Clio restera une énigme. Comme toute personne publique. Comme toute personne tout court. 1000 pages ne suffiraient pas à en dénouer l’écheveau.

Marianne Peyronnet