On sait peu de choses sur Lucrèce de Médicis.
Fille de Cosme 1er, elle est promise à treize ans au Duc Alfonso de Ferrare, remplaçant sa sœur aînée ayant succombé à un accès de malaria, est mariée à quinze à cet homme beaucoup plus âgé qu’elle, et meurt dans de mystérieuses circonstances une année après ses noces. A-t-elle été victime d’une fièvre ou d’assassinat par un époux furieux qu’elle ne lui donne pas de fils ?
L’histoire ne tranche pas, pas plus que Maggie O’Farrell, qui prend le parti de dresser un portrait de femme justement en proie au doute. Son mari sait tour à tour se montrer charmant, la convainquant presque par ses douces manières qu’il est amoureux d’elle, avant de faire preuve d’une singulière brutalité quand il s’agit d’abuser d’elle. Elevée dans l’ignorance des réalités prosaïques de la sexualité, si jeune qu’elle demeure encore une enfant, éloignée des siens, terriblement seule, elle sait devoir obéir à son maître et découvre la rudesse de sa condition avec horreur. Ses seuls refuges sont sa passion pour la peinture qu’elle exerce sur de petits cadres de bois, son imagination fertile et la présence d’une servante dévouée. La beauté de la nature la réconforte un peu et l’enfermement qu’Alfonso lui impose peu à peu est une vraie souffrance qu’on n’est pas loin de ressentir à la lecture de ce texte dense et poétique.
La Renaissance italienne a peuplé notre imaginaire d’images féminines évanescentes, d’une beauté irréelle, mais l’existence des femmes de l’époque, même bien nées, était cantonnée au cercle étroit de la sphère domestique, sous la dépendance d’un père puis d’un mari, et leur statut restait limité au rôle de mère. En plongeant le lecteur dans la psyché de son héroïne, au plus près de ses sensations, de ses émotions, l’autrice nous rappelle, sans tomber dans le pathos, à quel point sa vie s’avère peu enviable. Maggie O’Farrell choisit de ne présenter chaque fait que par les yeux de Lucrèce, ce qui entraîne notre empathie sans faille. Dans ce long roman, elle semble s’être imposé un rythme lent tel le miroir des pensées de sa petite duchesse se languissant de sa terre natale.
Il faut du temps pour venir à bout du Portrait de mariage. Il faut le prendre, ce temps, pour en savourer toute la grâce.
Marianne Peyronnet