Vous pénétrez dans une forêt.

 

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Sous vos pas le sol souple s’enfonce légèrement comme pour vous accueillir. A travers les grands arbres le soleil joue avec les feuilles agitées par une brise délicate, et le sol scintille de ces folâtres confettis de lumière. Plus loin, en contrebas, subtilement masquée par les fûts séculaires des arbres majestueux, vous devinez une vallée luxuriante, éclatante de couleur et de richesse, qu’une rivière chatoyante parcourt sans un bruit. Le chant des oiseaux éclate comme une symphonie aux multiples interprètes, et soudain vous avez l’impression de fouler un sol sacré, de cheminer à l’intérieur d’une cathédrale. C’est le sentiment océanique, une notion formulée par Romain Rolland, dans une lettre à Freud datée du 5 décembre 1927, et qui, selon Freud lui-même, « ne lui laissa aucun repos ».

Considéré comme le texte fondateur de l’école du Montana, La captive aux yeux clairs, le roman d’Alfred Bertram Guthrie dont Howard Hawks tira l’un des plus grands westerns de l’histoire du cinéma, et qui rencontra un succès considérable dans son pays d’origine, n’avait jamais été traduit avant que Bertrand Tavernier ne l’exhume pour la collection « L’ouest, le vrai » d’Actes sud.

En 1832, Boone Caudill, cabossé par un père alcoolique, fuit le domicile familial pour partir vers l’ouest, avec le projet de devenir trappeur dans les grandes étendues sauvages. Avec l’aide de son ami Jim Deakins, rencontré en chemin, il va se joindre à une expédition par bateau vers le Haut-Missouri, une vaste région sauvage où vivent les redoutables indiens Blackfeet.

Pour pouvoir faire commerce avec les Pieds-noirs tout en gardant son scalp, le chef de l’expédition emmène avec lui une jeune Blackfoot, fille de chef, nommée Teal Eye, qui doit servir de monnaie d’échange, mais à leur arrivée sur le territoire indien, ils subissent une attaque et la jeune squaw s’enfuit. Dès lors, Boone Caudill et son comparse, subjugués par la jeune indienne, tout en découvrant la vie de trappeur dans cette âpre contrée, n’auront de cesse que de retrouver Teal Eye, la captive aux yeux clairs.

Tout ceci peut sembler très classique et un peu trivial, mais ce texte, dont Hawks n’a adapté qu’une partie, brille par une ampleur et une subtilité qui font un éclatant contrepoint à la rudesse du milieu, et nous plonge à chaque page, ou presque, dans ce sentiment océanique qui, de toute éternité, nous bouleverse. Rien n’est jamais manichéen dans cette histoire, ni les personnages, ni les sentiments, ni les situations, et la langue de Guthrie, charnelle et sensible, fait merveille dans cette évocation crépusculaire d’un monde idyllique voué déjà à disparaître, par la faute de ceux-là même qui le découvre et le vénère.

« Pourquoi faut-il qu’une médaille ait toujours son revers ? »

Lionel Bussière