Si un roman défia jamais la synthèse, c’est bien celui-là.

 

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Visitant en vue d’une greffe éventuelle une sorte de banque d’organes où les viscères, pêle-mêle, s’ébattent en toute liberté dans une vaste piscine, le narrateur tombe illico amoureux de leur jeune et dévouée gardienne et n’aura de cesse de la retrouver, malgré les nombreuses bifurcations d’un récit délibérément à côté de ses pompes. Car s’il n’est pas absolument sans queue (on y fornique avec allégresse), il semble bien avoir définitivement perdu la tête. Tout peut arriver et, d’ailleurs, tout arrive : ce n’est que des années plus tard et après mille tribulations toutes aussi improbables les unes que les autres, qu’il finit par la dénicher via l’interprétation paranoïa-critique d’un chromo pendu depuis toujours au mur de son meublé, dûment désigné par son membre brandi en manière de baguette de sourcier ! On pense un peu à Raymond Roussel ; bien plus aux tendres loufoqueries d’un Richard Brautigan, auquel l’apparente une certaine plasticité nonchalante du récit, une élasticité motivée par un esprit résolument jouette et soutenue par un sens toujours délicat de la métaphore (« Emily avait de petits tétons timides, qui me faisaient penser à deux chiens de prairie cherchant le reste de leur colonie »). Temps et réalité ne sont ici que pures contingences, relatives au seul bon plaisir d’un auteur dont la créativité relève bien moins de la froide logique que du mystérieux principe à l’œuvre dans les lampes à lave, desquelles ce drôle de roman drôle partage à la fois le côté fascinant et la douceur tamisée. Car, à sa manière, Islande reste avant tout un roman d’amour, un vrai, ce qui le préserve in fine de l’arbitraire toujours un peu lassant propre au pur nonsense et fait de cette première traduction en Français de Jim Krusoe, né à Cleveland en 1942, l’une des rares bonnes nouvelles venues des États-Unis depuis un certain temps, déjà.

Yann Fastier