Depuis Le Dit du Mistral (Le Tripode, 2020), on aborde chaque nouveau roman d’Olivier Mak-Bouchard comme on renoue avec une vieille connaissance.

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Pas tout à fait un ami, mais l’un de ceux-là dont on pressent qu’il suffirait d’un rien pour qu’ils le deviennent et dont l’accueillante simplicité vous donne l’impression de vous être quittés la veille. S’il y a loin, en apparence, du Luberon de La Ballade du feu à la Californie du Grand tout, Olivier Mak-Bouchard, natif de l’un, connaît tout aussi bien l’autre, où il vit depuis plusieurs années. On ne s’étonnera donc pas de s’y trouver immédiatement comme chez soi en compagnie du narrateur, un vieux hippie veuf et français ayant depuis longtemps brûlé ses vaisseaux pour vivoter dans la baie de Frisco, avec ses souvenirs et l’indispensable chat des romans d’OMB en guise de placide ambassadeur d’une réalité tangente à la nôtre. Car le fantastique affleure toujours autant dans cet univers prosaïque en apparence – un fantastique exempt d’angoisse ou de terreur, fait plutôt de coïncidences et de signes, d’incertaines merveilles auxquels restent libres de croire ou non les personnages : ce sympathique et mystérieux John n’est-il qu’un weirdo de plus ou bien la véritable réincarnation de Jack London qu’il prétend être ? June, la toute jeune locataire du papy, est-elle vraiment en possession du Honjo Masamune, ce sabre mythique disparu en 1946 et dont on dit que le fil est capable de ne trancher que ce qui doit l’être et rien d’autre ? La mescaline a-t-elle vraiment les vertus qu’on lui prête ? Quand chacun interroge à sa manière ce qui reste du « Rêve américain », les présages s’accumulent peu à peu et s’annonce une nouvelle ère dont le final apocalyptique, sur fond de tremblement de terre, de Covid 19 et d’assaut du Capitole, constitue la phase primitive, destructrice, d’un hypothétique changement de paradigme.

À cet égard, Le Grand tout apparaît à la fois prémonitoire et déjà dépassé : depuis la réélection de Donald Trump à la Maison Blanche, la réalité laisse chaque jour la fiction un peu plus loin derrière elle, Los Angeles a cramé pour de bon et l’innocente Tesla du roman apparaît brusquement incongrue, pour ne pas dire carrément gênante. Le temps des livres n’étant pas celui de l’actualité, on ne saurait certes faire grief à Olivier Mak-Bouchard de cette brusque accélération de l’Histoire. On lui saura gré, au contraire, de n’avoir pas su prévoir le pire et, en écrivain de bonne volonté, de garder depuis le début « entre les songes trompeurs et ceux prémonitoires, une place à part pour les rêves de gosse ». À l’orée d’un avenir plus qu’incertain, la bonhomie sans flafla d’un tel roman, son honnêteté et même – osons le mot – sa bienveillance, laissent à espérer que tout n’est pas définitivement perdu tant que la merveille est encore possible.

Yann Fastier