Sous le pseudonyme de Prescot, Gabriel a rompu avec son ancienne vie, celle d’un peintre ayant acquis une petite notoriété à Paris dans la manière surréaliste.
Il vit maintenant à Londres, au dernier étage d’un immeuble voué à la démolition, dans un quartier dévasté qui ressemble à un champ de ruines.
Gabriel ne croit plus en la peinture, un drame a eu lieu, qui brûla toute inspiration. Aujourd’hui, Prescot se reconstruit dans l’abstraction, cherchant dans toutes les nuances du bleu une algèbre inatteignable de la splendeur, marchant chaque jour dans les décombres du quartier, les yeux grands ouverts interrogeant toutes les formes de la beauté dans la folle quête de figer sur la toile « un monde enfin sans le monde ». Tout entier tendu dans le geste de peindre, « ce mélange d’infinie subtilité et de folle puissance qui met en jeu le plus intime de l’être dans un seul geste incessamment corrigé », il combat la vieillesse avec l’arme émoussée de l’illusion, prêtant à l’art un chimérique pouvoir de rédemption.
La quiétude angoissée du peintre est bientôt troublée par l’apparition d’une jeune femme d’une beauté fascinante qu’il croise et recroise, et finit par trouver endormie sur son palier. Elle sait son vrai nom, semble le connaître et pressent sans le savoir nombre de choses sur le caractère de sa peinture. Malade, effrayée, sans cesse chancelante au bord de la fuite, en proie à des crises épileptiques, elle refuse d’expliquer sa présence. Elle n’a qu’une idée fixe, convaincre Gabriel de la représenter sur une toile, comme si cet artifice pouvait lui redonner une réelle existence. Sombre et désespérée cette quête obstinée, ce fol espoir de figer à jamais la beauté.
Magnifié par l’écriture sublime d’Hubert Haddad, toute en nuances et évocations d’une grâce froide, placé sous l’acuité implacable de l’œil du peintre, ce récit est un objet quasi-organique, palpitant dans les mains du lecteur, susceptible à chaque instant de glisser dans son histoire de nouvelles racines et de modifier en lui d’imperceptibles sensibilités.
Lionel Bussière