Marco Paolini et Jacqueline Liénard avaient beau exceller tous les deux dans leurs études, ils se détestaient.
Alors quand, fraîchement diplômés de l’école de police, ils n’intègrent pas le même service, c’est un soulagement, et l’occasion de poursuivre leur rivalité, tant l’Antigang où le premier est nommé et les Renseignements où se retrouve la deuxième, symbolisent à eux-seuls la guerre des polices. Différences de méthode, de morale, d’héritage, les raisons des divisions sont profondes. Alors, si officiellement, ils oeuvrent au même but, libérer la France de la racaille gauchiste, des groupuscules terroristes qui espèrent bien, à l’italienne, plonger la France dans des années de plomb, officieusement, ils se tirent la bourre et activent chacun leurs propres réseaux. Qui seront les premiers sur le podium ? Et qui arrivera à choper Mesrine ?
Bleus Blancs Rouges, premier roman d’une trilogie, dont l’action se situe de mars 1978 au 31 décembre 1979, parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Pas plus que Dierstein, né en 1983. C’est dire s’il lui aura fallu se documenter pour dépeindre avec une telle précision les dessous d’une République en proie à l’agitation, saisir les enjeux des tractations politico-financières en cours, dépeindre l’atmosphère. Dans cette fresque à la précision métronomique, en prenant toujours soin d’équilibrer les allées et venues des différents protagonistes afin d’exposer tous les points de vue, toutes les forces en présence, l’auteur nous embarque dans la France giscardienne comme s’il y était.
Les scandales, des diamants de Bokassa au « suicide » de Boulin, ministre du travail, font la Une des journaux. Le Paris interlope avec son lot de putes, de barbouzes, de crapules se disputant l’empire de la nuit, du sexe et de la drogue se fait plus discret. Amis libyens, palestiniens pour les uns, centrafricains, membres du SAC pour les autres… mercenaires, anciens de l’OAS, ex-soixante-huitards, truands de bas étage, utopistes guerriers, porte-flingues vénaux, politicards corrompus, tous pataugent dans le même marigot sous la surveillance des flics dont les enquêtes s’embourbent. Les planques, les indics, les écoutes ne mènent pas loin et les coups de flingues déchirent Paname. Marques de voiture, de barres chocolatées, titres de chansons et de films, célébrités ajoutent de la vraisemblance à l’histoire sans paraître plaqués. Delon, Régine, Mitterrand, July ont l’air bien à leur place et donnent de l’épaisseur à la toile.
Les plus de vingt ans seront surpris de se passionner à ce point pour le récit d’une époque qu’ils pensaient connue et se trouve à ce point éclaircie. Est-ce de la nostalgie ? Pour ces odeurs de clope, ce sexisme affiché, cet humour gras ? Cet ancien monde pourri est-il digne de mélancolie ? Il est si loin surtout. Mort et enterré. Comme cet activisme de gauche, véritable menace d’alors, et qui nous semble tellement inoffensif aujourd’hui.
A la fin de Bleus Blancs Rouges, les années 80 pointent leurs boules à facettes. De quoi se réjouir de rentrer à nouveau dans la danse, avec Dierstein pour nous expliquer les pas, histoire de ne pas se mélanger les pinceaux.
Marianne Peyronnet