Hiel Archangelos arpente la montagne comme un affamé.
Dans sa lutte contre la culpabilité face à la mort de son frère, chaque pas sonne comme une expiation. Celui-ci, disparu en montagne, n’a laissé à Hiel qu’une moitié de lui-même, et aucun risque n’est trop grand. L’extrême frisson du danger, associé au froid, à la fatigue et à la faim, laisse l’alpiniste sur le fil de l’hallucination, jusqu’à voir et entendre son frère mort le pousser vers plus de blancheur encore au milieu de la tempête. Un jour, une fois de trop, l’épuisement le conduisant au bord de la faute fatale, Hiel a suffisamment peur pour se promettre de rentrer à Paris, et s’inscrit aux cours de Desargues, vieil universitaire désabusé, spécialiste de Descartes, qui eut le frère de Hiel comme étudiant.
Desargues eut son heure de gloire à ses débuts, jeune professeur téméraire enseignant « l’épreuve de la liberté à travers les avatars du nihilisme depuis Shopenhauer, Nietzsche ou Wittgenstein », avant que le suicide d’un étudiant jette l’opprobre sur ses méthodes. Meurtri par la nostalgie de son passé d’enseignant révolutionnaire et provocateur, il s’accroche aujourd’hui à la raison comme à une bouée, et se sent responsable de la disparition du frère de Hiel.
Le premier jour de cours, Hiel découvre Marghrète. Enchaînée dans une inatteignable quête de sens, fuyant loin de son père à Paris, la jeune femme fragile se retrouve avalée par un groupe d’activistes aux dérives sectaires, dans lesquelles elle sombre peu à peu. Hiel, ému par sa détresse, tombe amoureux de Marghrète, et tente de la sortir du sectarisme, tandis que Mortimer, l’amant éconduit, glaciologue aguerri juché sur ses crampons et consumé par la rage devant Marghrète heureuse, est prêt à en découdre.
Une cristallisation va s’opérer autour de Marghrète et lier irrémédiablement ces quatre personnages à son père, Ströhmbauer, un millionnaire collectionneur d’automates et d’originaux de Descartes, hanté par la mort de sa femme, qui tomba dans une crevasse sur les pentes du Kangchenjunga, et qui est persuadé de pouvoir la faire revivre grâce à un procédé élaboré de cryogénie. Il va les entraîner dans une quête dramatique qui se dénouera sur les sommets himalayens, dans une danse lugubre où les obsessions dictent le tempo, où la lucidité et la logique disparaissent, aspirés par le trou noir du fanatisme.
Comme chaque fois dans les romans d’Hubert Haddad, la richesse de la langue sert la virtuosité du récit, conduisant le lecteur à travers un labyrinthe textuel jusque sur les cimes de ce roman halluciné, où la folie de la démesure ne lui épargne aucun vertige.
Lionel Bussière