Il fait beau, on entend le bruit d’un ruisseau et quelques chevaux renâclant derrière les arbres.
Évocation de la majesté des paysages et de la brutalité de la planète, toute la beauté du dehors se dessine lentement dans les tableaux de Jim Stegner, peintre en vogue, asocial et caractériel, qui s’est isolé du monde depuis la mort de sa fille et la désintégration de son mariage. Il peint, et chaque tableau est une aumône pour nourrir les démons, purger la violence et la culpabilité qui lui vrillent les entrailles. Et quand la peinture ne suffit plus, il y a la pêche, le plus loin possible dans les vallées ombreuses, le long des ruisseaux capricieux, où humble, on peut offrir une mouche à la truite fario et attendre son bon vouloir.
Un jour, en allant pêcher, Jim Stegner est témoin d’une scène d’une violence inouïe : le massacre complètement gratuit d’une petite jument paralysée par la terreur, à coup de matraque. Il s’interpose, sauve la jument et blesse le propriétaire, un organisateur de séjours de chasse.
Jim va devenir la nouvelle proie d’une bande de chasseurs de gros gibier revanchards, et pris dans un engrenage toxique, va devoir réagir et tenter de canaliser douleur, peur et colère, fuir comme un gibier et lentement pardonner au monde qui l’environne ces violences aveugles parfois intimement mêlées aux beautés folles des paysages, puis se pardonner à lui-même et accepter de museler la sauvagerie qui court sous ses muscles accablés, laisser mourir.
La grande qualité du western est probablement de laisser voir (ou imaginer) des chevaux galopant dans la plaine, ivres de l’illusion de leur liberté retrouvée dans la grâce sans limite du mouvement reconquis. On retrouve ici, dans ce récit qui ressemble tant à un western moderne, parcourant les tableaux qui servent d’introduction à chaque chapitre, un peu de cette grâce qui virevolte autour de la beauté énigmatique de la sauvagerie.
Lionel Bussière