Le roman, on le sait au minimum depuis Madame Bovary et Crime et châtiment, ne se tient jamais bien loin du fait divers.

 

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Toujours une oreille qui traîne, le romancier se nourrit de drames humains comme l’étourneau de maïs OGM. C’est à qui piochera le plus beau crime, le méfait le plus sordide, l’attentat le plus sanglant pour en extraire la moelle d’un geste expert et la livrer toute nue à ses contemporains. Au mieux, il dressera l’un de ces monuments du haut desquels l’Humanité contemple avec effroi ses propres abîmes. Au pire il en tirera bien un Goncourt. Dimitri Rouchon-Borie a une longueur d’avance sur cette rangée de charognards : lui, il est payé pour ça.

Chroniqueur judiciaire au Télégramme, il aura assisté à d’innombrables audiences, toutes juridictions confondues, avec une préférence pour les plus ordinaires, celles où se jouent parfois un destin en quelques minutes de comparution immédiate face à une justice pas toujours aussi sourde qu’on veut bien le dire, mais tout aussi souvent désarmée.

Il en aura tiré un premier livre, simplement titré Au tribunal (La Manufacture de livres, 2018), dont ces Fariboles sont une version revue et corrigée. Le changement de titre a son importance : il dit, dans son ambiguïté, la part que prend forcément l’imagination au récit de ces drames et de ces turpitudes lorsqu’il est ainsi médiatisé par l’institution judiciaire, admettant « pleinement la puissance de la littérature pour comprendre et digérer le réel ».

Fariboles, donc, que ces micro-récits, ces fragments d’histoires dont on pourrait parfois faire des « brèves de prétoire » (« – Mais expliquez-moi, puisqu’il était mourant, à l’hôpital, comme vous nous le répétez, comment a-t-il pu signer les chèques ? – Ben c’est qu’il n’était pas mourant tout le temps, monsieur le président. »)

Fariboles encore parce que, revus par un art évident du croquis (« Le prévenu est nerveux. Crâne dégarni cerné de petits cheveux en boucles de physicien nucléaire »), ces éclats proclament une subjectivité essentielle, au fond, à l’exercice de la Justice qui, tout en prétendant la mettre à la porte de ses tribunaux, lui ouvre en grand les fenêtres en rendant les procès publics. À cet égard, s’il est une bénédiction de la justice française, c’est d’avoir longtemps banni les caméras de ses prétoires, disqualifiant leur prétendue objectivité au profit du regard singulier du chroniqueur et du dessinateur qui, mettant en exergue tel ou tel détail, tel ou tel moment, en dit souvent bien plus long que le plus circonstancié des comptes rendus. Dégagé des enjeux du procès, le chroniqueur est avant tout libre de ne pas voir. Ainsi Dimitri Rouchon-Borie s’attarde-t-il de préférence sur un geste, une expression, le comportement d’histrion de tel ou tel magistrat plutôt que sur le procès lui-même dont, sans regrets, on ne saura souvent pas grand-chose.

Fariboles, enfin, parce que telle est au fond la matière même de ces audiences où, pris les doigts dans la confiture, la plupart des prévenus se défendent bec et ongles, avec une mauvaise foi si délicieusement consternante qu’on ne sait plus s’il faut rire ou bien pleurer. On rit, le plus souvent, et bien franchement, de ce théâtre où le dérisoire et l’absurde côtoient pourtant l’horreur, comme dans cette affaire, entre plusieurs autres, d’où Dimitri Rouchon-Borie avait tiré son précédent Ritournelle, après le coup de maître qu’avait été Le Démon de la Colline aux loups.

Avec cette réédition, l’auteur boucle la boucle, en quelque sorte et achève une sorte de retour aux sources. D’aucuns pourraient craindre qu’il ait épuisé ses vivres et ne fasse plus désormais que se répéter. Gageons au contraire qu’il ne s’agissait que de se délester pour s’envoler plus loin. Quoi qu’il en soit, l’éditeur compare le livre au 10e chambre de Raymond Depardon. De fait, on ne peut pas ne pas y penser. Qu’il nous soit cependant permis, sans craindre l’anathème et pour l’espiègle légèreté du dispositif, de lui préférer largement ces Fariboles.

Yann Fastier