Et si, lassés de voir nos tronches, les appareils photos du monde entier se mettaient simultanément en grève ?

 

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Et si le Nuage, sursaturé de nos effigies, se mettait à les relâcher façon grêlons et par ordre chronologique ? Qu’importe la physique (quoique…) nous sommes ici clairement dans la fable, avec ce que cela implique de désinvolture et de sens caché. Tout jugement suspendu, les « grêlons » déferlent donc, en tout point conformes aux personnes photographiées, jusqu’aux empreintes digitales et à l’ADN, en costume d’époque, encore tout hébétés par leur brusque réapparition. Que faire de ce trop-plein ? Que faire de ces Rimbaud, de ces Hitler, de ces innombrables Marilyn et bientôt de ces milliards de zombis rêveurs dont on essaie désespérément de planifier la survenue ? C’est tout l’objet de ce second roman d’Olivier Mak-Bouchard, après Le Dit du Mistral (Le Tripode, 2020) qui voyait une ancienne divinité gauloise faire des siennes dans un Luberon très contemporain. C’est à nouveau depuis ce coin de Provence qu’est racontée cette déflagration mondiale, telle que vécue par un jeune homme un peu simplet, nouveau Candide embauché comme « animateur culturel » dans un camp de la Légion réservé aux anciens de Camerone et de la guerre de Crimée. On se gardera toutefois d’en dire trop, de peur de gâcher les nombreuses surprises dont le livre est émaillé (pour certaines, et pas des moindres, on n’avait rien vu venir !) Mais l’humour, aussi constant que discret (ce Rimbaud, « c’était peut-être un grand poète, mais pour se le cogner tous les jours, merci »), où perce à chaque ligne la jubilation d’un auteur manifestement heureux d’écrire, vient en contrepoint d’un propos plus grave, comme toujours chez les descendants d’Ésope. Et cette nouvelle crise migratoire de recevoir de la part du nouvel État fasciste une « solution » qu’on redouterait finale… n’était l’ultime ruse déployée par le narrateur pas si neuneu, en forme de pied de nez à tous les grincheux contempteurs du selfie.

Yann Fastier