Jamais titre ne fut mieux porté que celui-ci, et nulle maison plus définitivement prise au piège que celle-ci.

 

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Ou, plutôt, est-elle elle-même le piège où sont venues s’enfermer deux malheureuses jeunes femmes lorsque Antonietta, ayant épousé le noble, le bon, le généreux don Lucio, y entraîna sa jeune sœur Nicolina avec elle. Sombre et comme retranchée de toute vie, à l’écart de l’agitation de la rue, la maison est un étouffoir où, bientôt, sous l’inflexible maniaquerie du beau-frère et mari, va s’éteindre toute vivacité chez les deux sœurs, en proie à une « crainte continuelle et obscure de le déranger ». L’arrivée des enfants n’y changera rien : ils ne sont pour don Lucio qu’un mal nécessaire, un complément indispensable à son assiette sociale et à sa réputation, qu’il tolère dans la mesure où ils ne dérangent pas ses chères habitudes. Véritable monstre d’égoïsme et de vanité petite bourgeoise, le pacha au petit pied – et usurier à ses heures – règne d’autant plus facilement sur son monde qu’il parvient rapidement à dresser les deux sœurs l’une contre l’autre. Seul son fils aîné, le sensible et enthousiaste Alessio lui résiste en apportant un peu de chaleur et de vie dans une maison dont il est le seul à parfois parvenir à s’échapper. Qu’importe, il le poussera au suicide, en toute bonne conscience, achevant de conduire sa femme à la folie et sa belle-sœur au fin fond du désespoir, sans jamais se remettre en cause un seul instant.

Faut-il préciser qu’on est ici assez loin de la dolce vita ? Maria Messina (1887-1944) fut en son temps l’une des principales représentantes du courant vériste de la littérature italienne, encouragée et admirée par Giovanni Verga et Giuseppe Borgese, puis largement oubliée avant d’être redécouverte dans les années 80 par Leonardo Sciascia (et, en France, par Actes sud). La maison dans l’impasse pourrait faire figure de manifeste à son style qui, se détachant de l’influence paysanne de Verga, devait se tourner vers la description quasi clinique de la petite bourgeoisie sicilienne et, surtout, du sort des femmes, « vaincues parmi les vaincus », réduites par la domination masculine à l’état de petites choses « pâles, maigrelettes, vêtues de noir » et incapables de révolte. Littérature d’un autre temps ? On aurait tort de le croire : le texte, sans lourdeur, se lit étonnamment bien et, d’un bout à l’autre, on rêve que quelqu’un se lève enfin pour botter le cul du tyran, à défaut de pouvoir le faire soi-même et d’enlever la petite Nicolina avant qu’il soit trop tard.

En un temps où le féminisme fait rage, il est urgent de redécouvrir Maria Messina.

Yann Fastier