Si l’on vous proposait de revivre 2020, peut-être bien que certains d’entre vous trouveraient que l’idée sonnerait comme une mauvaise blague.

 

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Et il est vrai que les nombreux témoignages retraçant le premier confinement n’ont pas libéré, chez moi, un enthousiasme forcené. Alors, pourquoi Les plaies d’Occident est un livre qui mérite notre attention ? Qu’est-ce qui différencie la collection de souvenirs de Félix Jousserand de celle d’un autre ?

La forme, d’abord. Un journal. Un style. C’est par des phrases courtes, dans une langue épurée, très travaillée que l’auteur a choisi de nous faire partager la mémoire de cette année sombre. Les passages concernant chaque jour sont un concentré de mots, exposant un condensé d’émotions diverses, souvent fortes. La lecture, facilitée par une belle mise en page, en est si aisée qu’il faut souvent revenir en arrière, s’arrêter, s’attarder, de peur de rater quelque chose. Pas le temps d’être lassé par des phrases, couperets efficaces, plus proches des aphorismes que d’une analyse psychologisante de la situation. Largement le temps d’être ému par des accents plus poétiques que théoriques.

Le fond, surtout. C’est dans le choix de ce qu’il dit, dans l’accumulation de détails tour à tour personnels ou universels que l’auteur fait preuve de talent. On se reconnait, du coup, dans ces petites tranches de vie. On se rappelle d’avoir eu telle pensée à propos de tel événement, sans l’avoir formulée avec autant de subtilité. On revoit le visage crispé de Macron lors d’une de ses allocutions, celle du 13.04, qui devient sous la plume de l’auteur : le président prend la parole – l’envergure le fuit comme l’or les misérables. On souffre de ces anecdotes individuelles qui résonnent comme des douleurs partagées, tel ce bout d’histoire du 19.05 : ma mère à l’hôpital – sa tête à la fenêtre – moi dans le gazon devant l’entrée barricadée- son filet de voix couvert par le vent. On sourit à l’évocation d’absurdités vécues en commun, qu’on aura vite oubliées, ainsi que celle relevée le 01.11 : essentiel non essentiel  - la ramette de papier contre le pot de fleurs – le slip contre le jouet. Nouveau vocable, nouveaux concepts, angoissants, déshumanisants, inventés non par l’auteur mais par ce que l’on suppose être des techniciens pour définir le nouveau monde. Reproduits ici, n’en devenant que plus insensés.

Le rappel, finalement, d’une année de vie confinée, distendue, irréelle, mais d’une année de vie faite de moments vécus ensemble, peut-être plus que toutes les autres.

Marianne Peyronnet