Sans les éditions Ombres, il fait peu de doutes que Hermann Ungar serait tombé dans l’oubli.

 

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Ecrivain tchécoslovaque de langue allemande, mort en 1929, il a pourtant connu une notoriété immédiate suite à la publication de son premier roman Enfants et meurtriers en 1920, ou des Sous-hommes en 1923, avant de succomber à 36 ans d’une appendicite mal soignée. Certaines des dix nouvelles présentées dans ce recueil, tel « le voyage de Colbert », furent publiées de son vivant, mais la plupart le furent un an après sa mort. Textes courts, presque expérimentaux, ne dépassant pas quelques pages, les histoires d’Ungar reflètent un merveilleux sens de l’ellipse et une maîtrise parfaite de la narration. Pas un mot de trop pour narrer l’étrangeté de l’existence, son absurdité. Les personnages semblent frappés de désillusion, incapables de réaction face aux événements pourtant prosaïques qu’ils subissent, comme si tout élément nouveau dans le déroulé de leur existence était synonyme de déroute. Déterminisme social, défaitisme atavique, décrits non sans une certaine ironie par l’auteur, les plongent dans des situations dramatiques, mortelles, soulignant leur inaptitude à s’adapter. Dans « le voyage de Colbert », le héros, Colbert donc, « meurt des suites des émotions que ce voyage lui occasionna ». Lorsqu’on sait qu’il n’est pas allé plus loin que le fond de son jardin, après des mois de préparations secrètes, il y a de quoi se moquer. « Mellon, l’acteur », sait depuis toujours ce qu’il fera en sortant de l’école. Il sera comédien. Premier de sa classe, on lui dégote un emploi de commercial pour le récompenser. De désillusion, il se laissera mourir de faim. Dans « la guerre secrète », le narrateur est certain que son professeur l’a vu en train de flirter avec une demoiselle et qu’il l’a dénoncé. Persuadé qu’il sera renvoyé de l’école, l’attente de la sanction le rend malade toutes les années qu’il passe au lycée. Et rien n’arrive… Dans « les frères », deux frères se retrouvent dans un train en route vers leur maison d’enfance. Deux ans qu’ils ne s’étaient pas vus. Ils étaient tellement heureux de se serrer dans les bras, se raconter leurs mésaventures. Face à face à nouveau, ils sont incapables de la moindre démonstration de joie ou d’affection. Ils font le voyage sans un mot, de plus en plus froissés, irrités de la réaction de l’autre autant que de la leur… Souvent racontées à la première personne, ces tranches de vie touchantes placent le lecteur en position du voyeur qui ne devine qu’un bout de l’histoire, comme si un pan de rideau lui cachait la totalité de la scène. Impossible de savoir si le protagoniste se fait des idées, exagère, est réellement victime ou simplement parano, frustré, empêché d’agir par sa propre faiblesse. Malheureux en tout cas, c’est certain, possédant l’art de se gâcher la vie en conjectures, les héros de Ungar le sont tous, et dépeints en quelques mots, ils soulignent tout le talent de leur maître.

Marianne Peyronnet