Un vieux paysan raconte sa retraite de Russie.
Engagé plus ou moins volontaire comme tambour dans la Grande armée, le jeune et naïf Vincent Bosse ne doit chaque fois la vie qu’à sa bonne bouille angélique, au gré de trop heureux hasards qui, peu à peu, amènent à douter de sa bonne foi. Ne serait-il pas en réalité un lâche, un menteur opportuniste prêt à tout pour sauver sa peau ? Mais qui pour le lui reprocher dans la débâcle généralisée ? Certainement pas le comte Tolstoï qui, préparant Guerre et Paix, est venu l’interroger dans ce coin de Russie où il a jadis refait sa vie avec une jeune fille du pays.
Réalisé en couleurs directes dans un style synthétique évoquant très justement l’univers des cartes à jouer, cette bande dessinée aux flamboyances vénéneuses du Flamand Simon Spruyt ne se veut pas seulement une page d’histoire mais avant tout une réflexion atemporelle sur la condition humaine dans ce qu’elle a de plus absurde et, surtout, de plus relatif au récit qu’on en fait. En définitive, une vie n’est qu’une affaire de mots. En les arrangeant à sa sauce, Vincent cherche moins à mentir qu’à déplacer le regard de son interlocuteur pour lui faire adopter son point de vue : que pouvait-il faire d’autre que ce qu’il a fait, lui, si petit face à la grande Histoire ? Ni vraiment coupable ni tout à fait innocent, il n’est que le jouet des événements qui le ballottent et son seul crime, en définitive, est d’y avoir survécu grâce à son bon sens quand partout ailleurs régnait la folie. Dans une ambiance d’apocalypse guerrière évoquant aussi bien le Balzac encore gothique d’Adieu et du Colonel Chabert que l’épisode de la bataille de Waterloo dans La Chartreuse de Parme, Le Tambour de la Moskova est l’œuvre d’un moraliste parvenu, après Junker (Cambourakis, 2015) et, surtout, Bouvaerts, élégie pour un âne (Casterman, 2019), à une maturité alliant une lisibilité totale à une rare profondeur.
Yann Fastier