L’ennui avec les vies des hommes illustres, c’est qu’on en connaît la fin d’avance.

 

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Ainsi de Giordano Bruno (1548-1600), dont on sait de quel bois catholique, apostolique et romain fut dressé le bûcher. Tout suspense éventé, c’est donc depuis sa prison du château Saint Ange que le philosophe et graphomane entreprend de raconter sa life au cours des huit jours qui lui restent. Une vie passée à fuir dans toute l’Europe, d’université en université, les ennemis que lui suscitaient à tout coup son anticonformisme en un temps où il était pour le moins mal vu ne pas choisir son camp. Dominicain, docteur en théologie, Bruno professait en effet des idées bizarres – personnelles en tout cas – qui lui valurent d’être assez vite excommunié, chassé, persécuté, respecté, fêté parfois, puis enfin trahi, questionné, jugé et exécuté. Et c’est à ce titre avant tout qu’il est resté dans les mémoires : en tant que martyr d’une liberté de penser que d’autres, à commencer par Montaigne, cultivèrent avec davantage de prudence. Car la prudence n’étouffe pas le Napolitain, dont le caractère inflammable semble le prédestiner au fagot. Grande gueule, volontiers ramenard, misogyne et passablement imbu de lui-même, Bruno n’a rien d’un saint et c’est tout le mérite de ce roman paru en 1990 (quand l’exofiction s’appelait encore « biographie romancée ») de le rendre à sa très imparfaite humanité. Une humanité que Serge Filippini arrange à sa sauce et c’est son droit : sa « vie de Bruno » se veut également le portrait d’une époque, aussi mène-t-il son philosophe errant à la rencontre de tous ceux qui devaient y compter, de Baïf au jeune Shakespeare, de Tycho Brahé à Arcimboldo, du poète Philip Sidney à l’utopiste Campanella. La plume est certes habile, ardente autant qu’il sied, mais c’est un peu trop, parfois, de même que le thème homosexuel, omniprésent, finit par devenir assommant, comme toute fête à laquelle on n’est pas convié.

Yann Fastier