Mars 1871. À Paris, la colère gronde. La pitoyable équipée de Napoléon III face à la Prusse et l’interminable siège qui s’en est suivi ont épuisé la patience des Parisiens.

 

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Le nouveau gouvernement « républicain » (il est en réalité majoritairement monarchiste) veut négocier, contre la volonté du peuple et de la très populaire Garde nationale. Lorsque le pouvoir fait mine de lui confisquer ses canons, c’en est trop : l’insurrection éclate, la chambre s’enfuit à Versailles, la Commune est décrétée à Paris, ouvrant la voie à deux mois de révolution qui feront date dans l’histoire sociale de l’humanité. La suite est connue : la Semaine sanglante, les milliers de morts parmi les Communards, les exécutions sommaires par centaines, les déportations…

Cette histoire, déjà mille fois célébrée comme l’une des plus belles trouilles de la bourgeoisie galopante, le cinéaste anglais Peter Watkins devait la raconter à son tour au long d’un film exceptionnel à bien des égards. Par sa durée, tout d’abord : 345 minutes – presque 6 heures d’une narration dense qui suit la chronologie pas à pas. Par son dispositif, ensuite : fidèle à une méthode déjà mise en œuvre dans plusieurs de ses films (Punishment Park, Culloden…), le réalisateur, avec une malice certaine et sans craindre l’anachronisme, met en scène une équipe de tournage de la Télévision Communale, chargée de suivre les développements de la Révolution dans un quartier populaire du XIe arrondissement. Interrogeant « bourgeois et bras nus » avec impartialité, ses deux sympathiques reporters témoignent de l’insurrection dans tous ses aspects, de la joyeuse effervescence des commencements à la lutte désespérée des derniers jours, sans faire l’impasse sur les erreurs et les contradictions d’une Commune souvent prise en tenaille entre le Peuple et les Versaillais.

En dépit d’une certaine théâtralité assumée de la mise en scène (décor minimal, parfois même inexistant), les acteurs – pas tous professionnels et recrutés un peu partout en France – sont d’un naturel confondant. Chacun joue le rôle qu’il s’est choisi, en fonction de ses propres options politiques et de ses propres positions. Car La Commune n’est pas seulement une leçon d’histoire comme on aurait aimé en avoir plus souvent en classe : brechtien en diable, le docu-fiction se double d’une réflexion in-vivo, où les acteurs sont invités à faire part de leur ressenti quant au tournage et à l’époque où il s’insère : nous sommes en 2000, on parle encore de « sans-papiers » et pas encore de « migrants », Nuit debout n’a pas encore investi les places ni les ronds-points les Gilets jaunes mais quelque chose est là, bouillonnant dans les têtes échauffées par le jeu. Au point de ne plus bien savoir, à la fin, lorsque le reporter va de barricade en barricade interroger les combattants sur ce qu’ils feraient maintenant, si ce maintenant est encore celui de la Commune ou celui d’aujourd’hui. Dans la presse et le bruit, le trouble des acteurs pris au dépourvu est manifeste et c’est aussi le nôtre, venant en point d’orgue d’une expérience qui, jusqu’au bout, se refuse à n’être qu’un simple spectacle. Semblable révolution est-elle encore possible et quelle part accepterions-nous d’y prendre ? À l’heure où Versailles n’en finit plus de triompher, telle est la question que soulève encore ce film, plus actuel que jamais, à l’opposé des pieux son et lumière sous lesquels certains – même de « gôche » – ne dédaigneraient pas d’enterrer la Commune une seconde fois sous couvert de la célébrer. Il est des zombis plus décatis et l’on se surprendra à fredonner, comme Eugène Pottier au lendemain même de la Semaine sanglante :

Ils sentiront dans peu, nom de Dieu,
Qu'la Commune n'est pas morte!

Yann Fastier