Il n’a pas d’écailles et sa queue ne repousse pas.

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Cet enfant-là est un « enfant-valise », l’un de ces petits clandestins qui, dans la Suisse des années 60, suivaient parfois leurs parents immigrés, littéralement cachés dans les bagages. Mais une chose est de passer la frontière, une autre est de rester ignoré du Padrone, brute toute-puissante qui fournit travail et logement ou du couple de concierges racistes et maniaques (« même les bananes, ils les nettoient avant de les peler, parce qu’elles viennent d’un pays noir »). Le petit garçon devra donc apprendre à ne pas faire de bruit, à se cacher sous les buffets, à courir s’enfermer dans l’armoire au moindre coup de sonnette. Cloîtré, il saura désormais que « la nuit est longue de plus de mille pas » et vivra dans le souvenir lumineux de sa grand-mère, sa Nonna Assunta des premières années, là-bas, à Ripa. Elle l’avait surnommé Lucertola (« rapiette »). Lorsqu’elle meurt, « [c]ette voix qui n’existe plus que dans son souvenir est devenue la force sauvage qui fait de l’enfant un lézard ».

Car l’enfant grandit, et la névrose avec lui. Passé maître dans l’art d’escalader les meubles et de se glisser dans la moindre fente, il élargit son territoire à l’ensemble de l’immeuble, dont il sera le témoin muet des turpitudes et des secrets. Il y aura la vieille violoniste, le professeur qui, bon an mal an, lui apprendra à lire, d’autres enfants, différents, comme le gros Carlos ou le « garçon froid »…  Il y aura surtout Emmy, petite fille puis jeune fille de son âge, comme la promesse toujours repoussée d’un ailleurs, d’une autre vie que celle-ci, dont ses parents n’auront fait que rêver, se tuant au travail et sacrifiant leur fils au Moloch d’une Suisse pas si accueillante qu’elle se plaît à le croire.

Premier livre en allemand d’un auteur lui-même issu de l’émigration italienne, ce roman très sobre en fait en quelque sorte l’examen de conscience, avec son enfant lézard en guise de remord.

Yann Fastier