En 1881, Maupassant  a publié son premier recueil et il est au début de sa gloire littéraire lorsque Le Gaulois l’envoie en Afrique du Nord pour une série d’articles destinés à couvrir, entre autres, une révolte indigène.

 

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L’écrivain prend la chose à cœur et, au fil de ses déplacements, de la côte à l’arrière-pays, envoie durant tout l’été une série d’aperçus de la situation algérienne qui, s’ils ne remettent pas en fondamentalement en cause le fait colonial, durent néanmoins faire grincer quelques dents. A commencer par les plus longues, celles de ces colonisateurs en chambre pour lesquels il n’a pas de mots assez durs, ceux-là mêmes pour qui « (l)e mot d’ordre est : “Extermination !” la pensée : “Ôte-toi de là que je m’y mette !”, et qui « n’ont point vu d’autres Arabes que ceux qui leur cirent les bottes », « fonctionnaires avariés » et « ratés de toutes les professions » qui mettent le pays à sac et, tout en le ruinant, mènent à l’insurrection d’un peuple qui ne demande qu’à être gouverné avec bienveillance. Vieille antienne paternaliste, qui oppose la rapacité des uns à l’autorité bien comprise des autres : ce n’est certes pas là ce que ces lignes ont de plus neuf. Leur véritable actualité, c’est plutôt quand Maupassant passe à la description qu’on la trouve. L’Algérie, c’est d’abord une lumière, où « (l’) énorme soleil s’élève au-dessus de cette terre qu’il a dévastée, et semble déjà la regarder en maître, comme pour voir si rien de vivant n’existe plus. » Plus familier de sa grasse Normandie, il se montre fasciné par le désert, les montagnes, paysage « absolu » où les couleurs les plus violentes – à l’exception du vert – se marient en une « féerique apothéose d’opéra », scène privilégiée où se meut une humanité qui, plus encore, remporte ses suffrages. Loin d’Alger, où « (p)artout grouille une population stupéfiante, une sorte de résidu de la crapulerie humaine », il célèbre une mosaïque de peuples où se côtoient Kabyles, Arabes, Maures, Juifs et jusqu’aux Touaregs du sud, « grands guerriers d’Homère », « ne montrant sous le double voile (…) que des yeux sincères et luisants ». En familier des boxons, ce sont toutefois les « Oulad-Naïl » qui ont sa préférence, tribu arabo-berbère dont les filles sont censées se constituer elles-mêmes leur dot en se prostituant – fantasme absolu de l’imaginaire colonial, largement colporté par un orientalisme de carte postale dont le syphilitique en chef de notre littérature se fait ici le relais très complaisant. Mais, après tout, qui n’aimerait recevoir des cartes postale signées Maupassant ?

Quant aux Contes sur le suicide, on s’interroge encore sur la pertinence d’un tel recueil, en l’absence de toute préface et de tout appareil critique. S’agit-il de versions originales, telles que publiées dans le Gil Blas ou Le Gaulois ? Et en quoi sont-elles différentes des versions recueillies par Maupassant lui-même dans Les Contes de la bécasse ou Les Contes du jour et de la nuit ? Tout cela se trouve en poche un peu partout, alors à quoi bon ? se demande-t-on, sans aller pour autant jusqu’au suicide.

Yann Fastier