Violent, geignard et parfaitement insupportable, Mahoney est un petit fermier veuf, à la tête d’un nombre indéterminé d’enfants qu’il s’applique à rendre malheureux par son comportement lunatique.

 

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Au premier rang d’entre eux, le fils aîné, adolescent inquiet, voit une supposée vocation religieuse contrariée par des désirs de son âge et une tendance compulsive à la masturbation. Brillant élève au zèle décuplé par la haine, il ne nourrit cependant d’autre ambition que d’échapper au carcan familial. Lorsqu’il y parviendra enfin à force de travail, ce sera pour se découvrir absolument vide, inapte, au fond, à toute autre vie que celle, médiocre, qu’il a toujours vécue sous la férule du pauvre type pathétique qu’il est bien forcé de reconnaître pour son père.

Paru en 1965 et largement autobiographique, ce roman vaudra à son auteur le renvoi de son poste d’enseignant et l’exil en Angleterre. Il faut dire que dans cette Irlande catholique où la mainmise du clergé se fait pesamment sentir sur la société tout entière, la franchise du propos avait de quoi choquer l’évêché, qui n’a jamais aimé qu’on soulève les cailloux pour voir ce qui grouille dessous. Pères tripoteurs, petits patrons harceleurs et curés plus que chelous, tout l’édifice social apparaît travaillé par une sexualité d’autant plus moite qu’elle est étouffée, refoulée sous le voile d’une religion omniprésente, avec tout ce qu’elle entraîne de violence et de culpabilité.

Il en résulte un profond désenchantement, que John McGarhern, avec un certain courage, fut l’un des premiers à mettre en évidence dans ce roman d’une sombre clarté, loin du récit national né de la lutte pour l’indépendance. Affranchi du collectif, l’individu s’éveille seul dans un lit froid. Quelle importance quand « en définitive, personne ne savait rien, ni de soi-même ni des autres, et les moments de haine et de mépris disparaissaient comme le reste, sans porter forcément à conséquence » ?

Yann Fastier