Le Paraguay n’en finira jamais de nous surprendre.

 

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Nul pays au monde, peut-être, n’a une histoire aussi étrange que celle de cet Etat d’Amérique Latine, dont il cumule à la fois toutes les extravagances et tous les excès. Né – ou presque – de l’institution des « réductions » jésuites, ces vastes communautés regroupant la population indienne Guarani en une sorte d’utopie théocratique sans équivalent, il connaîtra ensuite une série de dictatures non moins exemplaires, dont celle du « Suprême » docteur Francia, étonnant personnage d’autocrate à la fois impitoyable et éclairé : ainsi, sous son règne, la population est-elle alphabétisée dans sa quasi-totalité tandis que les études supérieures sont interdites dans le même temps. Il sera suivi de son neveu, Carlos Antonio Lόpez, qui modernisera le pays et l’ouvrira à l’influence européenne, puis de Francisco Solano Lόpez, le fils de ce dernier, qui nous occupe ici. Farouchement nationaliste, il fut à l’origine de la guerre dite de la Triple alliance (1865-1870), qui vit le Paraguay entrer en guerre à la fois contre le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay, « jaloux » de son territoire et de sa relative aisance. Le conflit, rapidement, tourne en faveur de l’Alliance et le Paraguay subit une série de revers qui, normalement, auraient dû mener à sa reddition. C’est là où l’Histoire dérape et où démarre celle de cette bande dessinée : car Lόpez est un enragé, un jusqu’auboutiste pour lequel il ne sera jamais question de céder, quitte à se faire massacrer sur place et quitte à faire massacrer la quasi-totalité de la population masculine du pays, pour le laisser dans un déséquilibre démographique dont il aura peine à se remettre.

C’est dans ce contexte que débarque le photographe Pierre Duprat, chargé par son agence parisienne de ramener de ces nudités « ethnographiques » dont sa clientèle bourgeoise est friande. Inconscient du danger, il se retrouve en pleine guerre d’extermination et assiste, impuissant, à l’une des dernières batailles, qui oppose vingt mille soldats de l’Alliance à trois mille cinq cents enfants guaranis, parfois très jeunes, recrutés de force et armés pour l’occasion. Le massacre est évidemment général et, surtout, sans témoins, alors même que Duprat, pour l’amour d’une belle Indienne, sort enfin de sa neutralité.

Habilement scénarisée, cette bande dessinée argentine reste toutefois assez classique dans sa forme et vaut surtout pour son aspect documentaire et la très rare évocation de l’un des épisodes les plus cruellement absurdes de l’Histoire, en même temps qu’elle pose la très moderne et nécessaire question de « l’objectivité » du photographe ou du reporter de guerre. A quoi peut-on assister sans intervenir ? Jusqu’où peut-on refuser de choisir son camp ?

Yann Fastier