Quiconque est allé un jour au catéchisme n’aura pas manqué d’y croiser saint Martin, légionnaire, inventeur du pet-en-l’air et de la BA.

 

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En ce qui concerne Mina Süngern, c’est au coin d’un guide de voyage en Val de Loire qu’elle tombe sur le futur évêque et décide incontinent de s’en faire la nouvelle hagiographe, après Sulpice Sévère et Grégoire de Tours. Hagiographe incrédule, toutefois, qui s’applique à dédorer la légende en restituant le personnage à son cadre historique. A partir de cinq épisodes bien connus de la vie du saint, restitués par autant de témoins, elle compose une série de tableaux où vient s’inscrire en creux sa silhouette, par une habile inversion du projet biographique. Plutôt que de tableaux, peut-être vaudrait-il mieux d’ailleurs parler de tapisseries, tellement toute illusion de profondeur s’en efface au profit du plan, vertical et sans hiérarchie, où le moindre détail – le trajet d’une goutte d’eau, le chant d’une mésange – n’ont pas moins de présence et de netteté que le sujet principal. Pas moins, plutôt plus : car Martin reste le grand absent de ces textes, qui n’apparaît qu’à la manière de ces jeux où l’on doit retrouver une figure à travers le fouillis d’un décor : un saint est caché dans ce paysage, saurez-vous le retrouver ? L’y a-t-on déniché que son action prend un caractère d’incompréhensible étrangeté, un air de scandale qui la rend illisible aux témoins dont elle bouleverse le système de valeurs : que faire d’une moitié de manteau ? se demande le miséreux que secourt Martin. Quel est ce jeu cruel ? s’interroge l’esclave tétanisé qu’il prétend traiter en frère. Et l’on mesure alors toute la violence avec laquelle s’impose à toute une société le christianisme naissant. Pour le monde païen, loin des images pieuses, la religion d’amour n’est rien moins que la religion des maîtres, l’expression renouvelée d’une domination, selon une logique historique dont Mina Süngern rend parfaitement compte, avec un beau mélange de facétie et de sérieux.  

Yann Fastier