Paris, 2058. Le Réseau veille sur vous, sur tout. Il fait de vous des supers citoyens.

 

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Votre métadicateur, cette note qui vous est attribuée en fonction de critères objectifs, comme votre empreinte carbone ou votre consommation de viande, vous permet de vous situer sur l’échelle humaine. Si vous êtes quelqu’un de bien, la note monte, transparente, visible par la terre entière et permet de vous proposer des partenaires amoureux à votre mesure. Votre revenu universel vous permet de n’avoir aucune angoisse sur le plan matériel. Votre régulateur de vie s’occupe de régler votre chauffage ou la luminosité de votre appartement en fonction de vos besoins et de ceux de la planète. Le Réseau sait tout de vous grâce à cette puce implantée dans votre bras à la naissance. Il centralise vos données personnelles, qu’elles soient médicales, bancaires, familiales. Il anticipe vos désirs. Après tout, n’êtes-vous pas un Riencanas, un adepte de la transparence totale, dans la vie réelle, IRL (in real life) autant que dans la vie virtuelle, IVL (in virtual life) ? N’est-ce pas louche d’avoir des choses à cacher à la société ? Bon, si vous êtes un nonyme, c’est-à-dire que vous utilisez un pseudo IRL dans le but de conserver un peu d’indépendance, ça passe encore. Mais il existe des individus retors au bonheur, des êtres dangereux, des Obscuranets, prêts à accomplir des actions terroristes pour remettre en cause l’équilibre et retrouver le chaos de l’ancien monde. Camille Lavigne, Dyna Rogne IRL, caractère central du livre, nous immerge dans son présent, faisant le lien entre les différents courants de pensée.

Anticipation, dystopie ? Le roman de Benjamin Fogel dérange en nous plongeant dans un futur plausible, très proche de ce qu’on peut déjà voir des dérives de notre monde. Il le fait par petites touches, par l’entremise de caractères qu’il présente tour à tour comme représentants du débat social et philosophique de la société qu’il crée. Subie par certains, mais plébiscitée par une vaste majorité, son ultra-modernité inquiète, paradoxalement parce qu’elle est douce. Pas de répression ultra-violente ici, pas de scènes d’effroi, l’homme est entré dans l’ère de la soumission consentie, de la servitude volontaire, du jugement des comportements particuliers au profit du bien commun, et ça fait flipper. Les caméras de surveillance à tous les coins de rue ? Les réseaux sociaux qui analysent nos goûts en matière de produits commerciaux, de candidats aux futures élections ? L’intelligence artificielle qui pense à notre place ? Le moule est déjà conçu. Y rentrer rendra-t-il heureux ? L’auteur se refuse à une présentation manichéenne des questionnements posés à notre réalité. Il s’interroge sans apporter de réponse. Il fait appel à l’intelligence de son lecteur, la part de cerveau disponible qui lui reste encore. Est-ce un bien si les Etats s’emparent des réseaux sociaux ou doit-on laisser les multinationales américaines les gérer ? Peut-on faire le bonheur de l’individu malgré lui et où commence le totalitarisme ? L’anonymat sur la toile doit-il être éradiqué ?

Si son roman se lit comme un thriller, porté par une intrigue solide, les questions qu’il soulève sont multiples et mouvantes, au gré de celles que se posent ses personnages, incarnés, attachants, ambigus jusqu’à l’extrême.

Marianne Peyronnet