Au commencement était Fantômas.

 

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De ce premier génie du mal naquit Diabolik, en italien dans le texte, parangon de toute une kyrielle d’épigones qui devaient faire les beaux jours des fumetti neri : Kriminal, Satanik, Fantax, Demoniak et autres criminels en collants forment un sous-genre du giallio, dont le succès ne tarde pas à s’exporter de l’autre côté des Alpes. Pour mieux défendre ses droits, l’éditeur italien crée une filiale et recrute un gérant capable de faire prospérer leur affaire. Ils ont le nez creux : Georges Bielec maintiendra le flambeau d’Elvifrance pendant plus de vingt ans, sans jamais désarmer contre la censure qui le frappera plus que tout autre éditeur depuis 1949, quand cathos et cocos eurent la fâcheuse idée de s’unir pour faire voter la loi de censure qui régit encore actuellement les publications destinées à la jeunesse. Les publications d’Elvifrance ne l’étaient pas, ne l’ont jamais été, ont toujours porté la mention « réservé aux adultes ». Peine perdue : nos chérubins pouvant tomber dessus par hasard au détour d’un kiosque, les « PFA » (Petits Formats Adultes) tombaient, eux, sous le coup de la loi. Dès le début, les interdictions déferlent en cascade, Bielec doit répondre de presque chaque titre, en susciter sans cesse de nouveaux pour pallier les défaillances. Il n’aura de cesse de se défendre, de porter coup pour coup, tordu de préférence, et de défier Anastasie, fort d’un succès populaire dont seul le porno en VHS finira par venir à bout.

Il faut dire que son catalogue avait largement de quoi donner des sueurs froides au moins coincé des culs-bénis. De Jacula, reine des vampires à Luciféra, Zara ou Maghella, sans compter d’innombrables récits complets aux titres aussi prometteurs que La chair et le fer ou Le royaume de l’immonde, les PFA promeuvent avant tout une BD d’exploitation où tout est à peu près permis pourvu que ça gicle : viols, tortures, éviscérations, démembrements et pornographie plus ou moins explicite, la surenchère est de mise pour des scénarios plus soucieux d’émotions fortes que de cohérence et de finesse. Lequel d’entre nous, né dans les années 60-70, n’aura senti son cœur d’enfant battre en ouvrant aux toilettes l’un de ces fascicules interdits, déniché dans les affaires du frangin ? Quel bidasse en folie ne se sera grassement gondolé aux mésaventures priapiques de Sam Bott ou de Prolo, le délégué syndical partisan de la ligne raide ? Quoi qu’on en dise, les PFA occuperont toujours une place à part dans notre imaginaire et peut-être aussi dans notre cœur. Omniprésents et marginaux (leur tirage phénoménal leur assurant la visibilité que leur interdisait la censure), ils sont là, tapis dans l’ombre de notre mémoire comme l’un de ces monstres pustuleux toujours prêts à transmettre leurs MST à des héroïnes dont la vocation laitière crève la case. Bon, la féministe en nous s’étranglera sans doute, mais il y a tout de même une vraie poésie dans tout cela : une poésie certes involontaire, née de l’outrance et de la naïveté, la même que  Rimbaud trouvait déjà dans les « peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques (…) » et dont les couvertures souvent sidérantes rassemblées dans cette copieuse anthologie donnent un aperçu propre à réveiller les bas instincts du plus blasé des chineurs. Ça ouvre à quelle heure, déjà, Emmaüs ?

Yann Fastier