Un village en plein cœur des Midlands, une adolescente qui disparaît, une battue au petit matin…

 

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Ce pourrait être le début d’un de ces thrillers plus ou moins poisseux que la librairie, ces derniers temps, nous débite au kilomètre. En réalité, c’est tout autre chose. Car on n’en saura guère plus sur le sort de la disparue, qui n’intéresse ici que par les traces qu’elle laisse dans la mémoire des habitants, et la façon dont l’événement, comme une pierre jetée dans un étang, trouble l’eau calme de leur vie. Cette vie, on en suivra désormais le cours pendant treize ans, en autant de chapitres et comme autant de cercles autour d’un centre à jamais inaccessible. Le dispositif est toujours le même : chaque chapitre débute au jour de l’an puis, au fil des mois, des saisons, se dévide la chronique des travaux et des jours, des conversations, des incidents, des rencontres et de tout ce qui fait la vie d’un village d’Angleterre au début de ce siècle. L’on suit ainsi une vingtaine de personnages, dont les chemins ne cessent de se croiser, et dont aucun ne prend le pas sur l’autre. Pas de «héros », donc, mais des êtres humains, avec leurs failles, leurs faiblesses et leur beauté, que balaye un instant le pinceau faussement indifférent du projecteur, avant de s’attarder sur un terrier de renards, le niveau de l’un des réservoirs dont sont truffées les collines ou bien, tout simplement, la lumière du moment, le souffle du vent… Sous nos yeux, lentement, des couples se font ou se défont, des enfants grandissent et puis s’en vont, des gens meurent, d’autres s’installent ou bien reviennent, comme reviennent les fêtes paroissiales, le match annuel contre le bourg voisin, traditionnellement perdu, et puis le souvenir lancinant de ce fantôme qui ne cesse de hanter le village et dont la trace, pathétique, scandaleuse parfois, ressurgit soudain comme d’une strate enfouie de la mémoire ou de la terre.

Loin de toute psychologie, cette volonté panoptique, ce souci constant de ne pas démêler l’humain du naturel, l’individu de la communauté, ni l’important de ce qui pourrait paraître accessoire, interdit de faire de Réservoir 13 un simple roman choral. Si les personnages sont multiples – au point qu’on les confond un peu, parfois – le point de vue est unique et Jon McGregor accorde à chacun un égal intérêt, une même neutralité bienveillante qui annule ce que le procédé pourrait avoir d’intrusif. Nul n’est jugé pour ce qu’il a fait ou ce qu’il aurait pu faire et, dignité intacte, chacun garde son rôle à jouer dans la partition commune : ainsi ni Jones, le gardien de l’école, emprisonné pour pédophilie, ni Martin, perdant chronique un rien pathétique, ne sont jamais réellement mis à l’écart d’une communauté que cimente une culpabilité bien plus forte, jusqu’à imprégner semble-t-il la moindre pierre, le moindre brin d’herbe.

Une culpabilité douce, cependant, et latente, mais les guerres de basse intensité ne sont pas forcément les moins meurtrières et la blessure, malgré les années, ne se referme pas. Même les enfants, devenus grands, se voient sans cesse ramenés à « l’affaire » lorsqu’ils s’en vont étudier à la ville voisine. Que savaient-ils de cette fille qui avait alors leur âge, qu’ils ont côtoyée ? Il serait évidemment vain d’attendre une réponse, un coup de théâtre qui viendrait mettre un point final au mystère. Le roman ne se termine pas, il s’éteint, comme les cercles sur l’eau finissent par s’effacer en s’éloignant du centre, par épuisement. La disparition irrésolue de la jeune Rebecca rejoint en quelque sorte la géologie du village, dont elle intègre la part d’ombre, comme ces mines désaffectées qui trouent les collines avoisinantes et dans lesquelles, en cherchant bien…

A lire en écoutant Philip Glass.

Yann Fastier