La littérature facilite-t-elle les départs ?

 

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Certes, écrire, c’est partir un peu mais cela suffira-t-il au narrateur de ce roman pour s’arracher à ses habitudes et reprendre enfin la route ? Encalminé depuis plusieurs mois dans un petit port du nord-ouest, il a toutes les peines du monde à s’arracher à son fauteuil, à la petite bande d’habitués du bar qu’il fréquente, chômeurs professionnels et bras cassés par vocation. La consultation d’un psy l’amenant à prendre la plume pour se libérer de ses démons, il en vient à se poser les questions fondamentales qui se posent à tout écrivain : écrire quoi et pourquoi ? Faut-il jeter sur le papier tout ce qui vous passe par la tête ou bien, à l’instar du vieil ivrogne Blancas, végéter dans une rumination permanente du premier mot en attendant le Grand Œuvre hypothétique ? Loin de ces vaines supputations, la rencontre d’un groupe de migrants africains bien déterminés à traverser la Manche lui donnera in fine la force de s’arracher à son inertie, ainsi d’ailleurs qu’à toutes velléités littéraires.

On ne prendra pas grand risque à deviner en ce Nomade entravé une sorte d’autoportrait en creux de l’auteur, dont l’idée de retrait est depuis toujours au cœur de l’œuvre, qu’il s’agisse de ses romans (L’hurluberlu ou La philosophie sur un toit, Merci aux ambitieux de s’occuper du monde à ma place…) ou bien de ses essais (Cher lecteur…), tous taillés sur mesure pour Corti, cette irremplaçable thébaïde de la littérature acomtemporaine. De même y verra-t-on une saine et ironique mise en garde contre toute posture littéraire : « L’écriture, la vraie, ne doit pas soigner, mais tuer l’écrivain » professe le raté Blancas, l’écrivain pur et dur dont la seule et très concrète utilité sera finalement de crever pour de bon, afin qu’une poignée d’héritiers involontaires, exilés soumis à bien d’autres aléas que ceux de la chose écrite, puissent s’en aller voir un peu plus loin si la vie est enfin possible.

Yann Fastier