On avait laissé Frank Begbie, à la fin de Porno, sérieusement amoché.

 

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Le psychopathe de Trainspotting, figure emblématique de la petite frappe toujours prête à péter quelques dents, pour un regard, un mot de travers, ou simplement parce que votre gueule ne lui revenait pas, était à l’hosto. Une voiture lui avait roulé dessus alors qu’il avait traversé sans regarder, à la poursuite de Renton, son ancien pote qui lui avait piqué du fric. C’est dire s’il était très agacé et si son retour promettait d’être fracassant.

C’est sous le pseudo de Jim Francis que Begbie is back. Il traîne un peu la patte, séquelle de l’accident qu’il a subi, il y a longtemps, dans son ancienne vie. Pour le reste, tout a changé. Il vit désormais à Santa Barbara, avec sa femme Melanie, son art-thérapeute, et leurs deux adorables petites filles. Bon père, bon mari, Jim a arrêté la picole, la dope, et soigne son corps. Il est surtout devenu la coqueluche du milieu de l’art contemporain. Ses œuvres, visages mutilés de stars, s’arrachent à prix d’or. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Fin de l’histoire ? Nan ! On est dans du Welsh, pas dans du Disney, alors faut pas compter sur l’auteur pour écrire un feel good book, et s’il y a bien « artiste » dans le titre, il y a aussi « couteau ». La mort de son fils aîné, là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, va forcer Begbie à revenir à Edimbourg sur les traces de l’assassin de Sean. Même s’il le connaissait à peine, son honneur de père est blessé et sa conscience le tourmente. Retour forcé dans un passé qu’il croyait enterré définitivement, le voilà obligé de renouer avec sa famille, ses amis, ses démons. La bête en lui n’est qu’endormie. Elle a le sommeil léger. Dr Jim versus Mr Franco. Les souvenirs s’entremêlent au fil de l’enquête qui le ramène dans les quartiers de la capitale écossaise aussi glauques que dans sa jeunesse. Leith sera toujours Leith avec ses docks, ses dealers, ses camés, ses meurtres.

Dans L’artiste au couteau, Begbie gagne en épaisseur en prenant le premier rôle. Welsh explore l’enfance de son personnage le plus déjanté et dresse le portrait d’un loser magnifique, victime de son environnement, des mauvaises rencontres qui ont parsemé sa route et du statut qu’on lui a assigné depuis tout petit. Son arbre généalogique a des branches bien pourries. Difficile de se construire sur base de relations familiales toxiques. Dur de lutter contre l’ADN. C’est cette lutte intérieure, et les efforts qu’il consent pour s’extirper de sa condition, accéder à une forme de rédemption qui font les plus beaux passages du roman ; quand Begbie comprend que la culture et l’art lui permettront de se libérer ; quand il trouve les moyens de se jouer de sa dyslexie et de lire, enfin. Begbie se bat, contre lui-même, et un peu aussi contre ceux qui le foutent en rogne.

Peut-on vraiment évoluer ou est-on condamné à rester le même ?

Changer ? Oui, dit Welsh, on peut. A moins que…

Sans être le meilleur de Welsh, on retrouve dans L’artiste au couteau cette vivacité acerbe qui fait le sel de ses récits. Ici plus introspective, son œuvre reste profondément ancrée dans le réel. L’enquête progresse à grands coups de boule et le lecteur suit les mésaventures de son taré préféré un rictus coincé au coin des lèvres. La peinture cinglante des différentes classes sociales et de leurs tares, la critique mordante du marché de l’art contemporain ont de quoi faire sourire. La tension ne faiblit pas, collée aux basques d’un Begbie imprévisible. On regrette seulement qu’il ne croise pas le chemin de ses anciens comparses de Trainspotting et Skagboys. Dead Men's Trousers, qui vient de sortir en Grande-Bretagne, comblera le manque, la joyeuse bande y étant à nouveau réunie. On crève déjà d’impatience de voir Welsh étoffer sa saga d’un volume supplémentaire et poursuivre sa radiographie de l’Ecosse contemporaine, à travers l’histoire d’un groupe de potes, sur plusieurs décennies. Les Rougon-Macquart n’ont qu’à bien se tenir.

Marianne Peyronnet