Kenji Tsuruta est-il un gros fainéant ?

 

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La question se pose : il aura fallu presque vingt ans pour que son Île errante vienne enfin prendre la relève de son mythique et bien nommé Spirit of wonder, paru en 1999 (en même temps que L’homme qui marche de Jirô Taniguchi, dont la carrière subséquente fut bien autrement prolifique). Vingt ans durant lesquels on aura successivement espéré, puis désespéré à la parution de l’éphémère et très oubliable Forget-me-not, pour se morfondre enfin dans un amer désenchantement. Et voilà qu’un soir de septembre 2017, la jolie Mikura vient brusquement nous tirer de la torpeur mortelle où nous risquions de sombrer, bavant sur le dernier d’Ormesson. Tout cela n’aurait-il donc été qu’un songe ? Nous aurions donc encore trente ans ? Il faut le croire puisque nous voilà spontanément sur nos pieds, prêts à suivre la jeune fille au bout du monde, à la recherche d’Electriciteit, cette étrange île flottante au sujet de laquelle son défunt grand-père avait accumulé tant de notes. Quelle est-elle ? Et où est-elle ? Pendant trois ans, Mikura n’aura de cesse de la localiser pour livrer enfin ce paquet légué par le vieil homme et adressé à une mystérieuse madame Amélia, dont son hydravion porte le nom. On pense évidemment à Miyazaki et l’on n’en est pas loin, en effet, tant pour l’élégance impeccable du dessin que pour le sens du merveilleux, ce spirit of wonder que l’on retrouve intact après tout ce temps, entre les mains d’une svelte jeune pilote en desert boots et bikini. On y croit, on ne cesse d’y croire ni de vouloir y croire : c’est la magie du manga, à laquelle – on a beau chercher – on ne connaît décidément pas d’équivalent dans la bande dessinée occidentale, qui n’a jamais eu autant de fraîcheur et de souffle (sinon peut-être chez un Hugo Pratt, avant la vieillesse et la paresse). Question de rythme, peut-être, mais également de désir : ce désir qui imprègne jusqu’au moindre trait de ces deux volumes et nous en rend littéralement amoureux, en toute quiétude et honnêteté, sans autre inquiétude en tout cas que de devoir attendre le prochain, en croisant les doigts pour que l’éditeur ne fasse pas faillite ou qu’un tsunami géant n’engloutisse le Japon.

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Pour nous faire patienter, Ki-oon se fend d’un autre bien joli cadeau avec ces Souvenirs d’Enamon, adaptés d’une nouvelle éponyme de Shinji Kajio. Un étudiant regagne ses pénates à bord d’un ferry et rencontre une étrange jeune fille qui, mi-enjouée mi-sérieuse, lui confie être dépositaire de la mémoire intégrale du monde depuis la première cellule vivante… Auteur de science-fiction respecté au Japon, Shinji Kajio est le créateur de ce personnage fascinant qui semblait n’attendre que Tsuruta pour trouver un visage : qui l’eût cru, la mémoire du monde est plutôt cool. Grande et mince, elle a de longs cheveux noirs, des taches de rousseur et quelque chose d’espiègle dans l’expression. Elle porte en général de vieux pulls un peu avachis, des jeans et des baskets et, comme le cancer ne lui fait pas peur, elle fume aussi. Depuis 1983, Shinji Kajio a fait d’Emanon l’héroïne de nombreuses nouvelles qu’on rêverait de voir enfin traduites. Alors, les éditeurs, on lambine ?

Yann Fastier