Stéphane Sorge est un critique littéraire reconnu et craint.

 

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SS pour ses ennemis, Super Style pour les autres, « il se vante de n’avoir aucun ami écrivain. » La quarantaine installée, il tue pour un bon mot. Sa vanité n’a d’égale que sa mauvaise foi, démesurée. Il rédige en free lance ses mauvaises humeurs dans la presse intello que plus personne ne lit, et ne rechigne pas, sous pseudo, à faire des piges pour Télé 2 semaines. Il aime la belle langue, qu’il manie à merveille, et l’argent. Il revend chez Gibert les livres qu’il reçoit en service de presse. Ces livres, il a de plus en plus de mal à en venir à bout. Leur préfère Détective. Le dernier Mark Z. Danielewski, La clinique des mots ? Il en a perdu les épreuves dans le train, sans l’avoir achevé. Il en rédige tout de même une chronique, à partir d’extraits de phrases copiées-collées sur la toile. Surréaliste, stupide, elle ne passe pas inaperçue. Sa patronne du Monde des Livres le met sur la touche. Les réseaux sociaux s’emballent.

Bettie Leroy est booktubeuse. Esthéticienne à Melun, elle devient sur le net BettieBook. Parce qu’elle « adore nous donner son ressenti en vidéo. » L’accroche de son site : « BettieBook, lectrice et petite souris qui voit tout, tout, tout. Suis-moi dans la maison des livres » plaît à ses 30 000 followers. Sa spécialité ? Les dystopies Young Adult, les « livres qui font plus peur que les films. » Elle se met en scène, dans sa chambre. Se filme lors de séances de Unboxing. Interroge ses auteurs préférés de trois questions ineptes. Elle est jeune, elle est belle. Elle plaît.

« Elle aimerait monter. Il descend. »

En faisant se croiser deux personnages qui n’auraient jamais dû se rencontrer, qui vivent dans des univers parallèles, Frédéric Ciriez dresse une satire jubilatoire du petit monde littéraire. Ancien et nouveau monde s’écharpent joyeusement et l’on se garde bien de prendre parti pour une cause, tant leurs représentants sont peu aimables. A coup de punchlines, de courts paragraphes aux allures d’aphorismes, il égratigne avec une joie non feinte le microcosme (parisien) des gens qui jugent. Lui : « Les rivalités sont plus fréquentes que le talent dans le monde littéraire. » Elle : Je ne lis pas le Monde des Livres, je l’habite. » Pas mal, hein ?

Attachés de presse, auteurs en mal de reconnaissance, éditeurs sournois, personne n’est épargné sous la plume aiguisée et précise de Ciriez. Tirer la couverture, rester à la page à tout prix, toutes les manigances sont bonnes, tous les forfaits, toutes les bassesses. Pas joli joli. Tant pis, l’important, c’est de faire parler de soi. SOi. SOI. Et la littérature, me direz-vous ? Elle va bien, merci. Grâce à, ou malgré, ceux qui se targuent de la défendre. En tout cas, dans le cas de BettieBook, elle est très en forme.

Marianne Peyronnet