Vingt ans, déjà, que la minuscule silhouette ronde de Jérôme d’Alphagraph, l’apprenti libraire de Nylso, arpente des paysages de mille et une nuits en quête du sens à donner à sa vie.

 

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Vingt ans, c’est plus qu’assez pour oublier que le personnage doit son nom à une défunte librairie rennaise – et à son propriétaire – où, à l’aube du millénaire, il naquit en quelques exemplaires dans l’éphémère Chez Jérôme Comix. Il aura vu depuis son univers doucement s’étoffer, s’y agréger de nouveaux personnages, s’engager de fructueux dialogues (avec la scénariste Marie Saur, notamment), s’initier de possibles voyages… mais toujours avec lenteur, au pas tranquille de son âne Bourrique, animal plein de résilience et de bon sens avec lequel Jérôme entretient une conversation rêveuse et murmurante. On l’aura compris : d’une part, rien ne saurait être plus éloigné des clichés de la bédé commerciale que cette série poétique et résolument contemplative ; d’autre part que son auteur n’est pas pressé. C’est donc au bout d’une petite dizaine d’années qu’il nous revient par la bande et défiant encore une fois les lois non-écrites du genre puisque le puriste y reconnaîtra davantage un album qu’une BD proprement dite. La différence ? Il n’y en a pas d’essentielle. À raison d’une ou deux images par double-page, l’album est une BD qui prend son temps, voilà tout, à l’instar de ce que Jérôme a toujours fait. De même le terme « album » est-il généralement suivi du qualificatif « jeunesse », comme si le nombre de dessins par page devait être proportionnel à l’âge du lecteur. Là encore, Nylso rebat les cartes. Car si son livre peut parfaitement être lu par des enfants, il n’en ouvre pas moins des perspectives complexes, de celles qu’on réserve d’habitude à la littérature dite sérieuse, dont l’auteur s’est toujours avéré fin connaisseur, n’hésitant pas à enrôler ses écrivains de prédilection, Robert Walser en particulier, son âme sœur en matière de pattes de mouche et de vagabondage. De nouveau, tout repose ici sur un dialogue. C’est une belle journée, Bourrique veut aller faire un tour en ville et visiter des amis. Jérôme, lui, préfère écrire. Bourrique lui faisant miroiter tout ce qu’ils pourraient faire en chemin, Jérôme l’admet bien volontiers mais préfère encore écrire pour précisément raconter l’histoire que nous avons entre les mains. « Décidément, un écrivain n’invente rien. Il écoute, regarde, et lorsqu’il écrit, il copie la vie », lui fait dire Nylso en conclusion d’un récit où les notions de virtuel et de réel s’abolissent dans un dessin paysager d’une ampleur d’autant plus remarquable qu’il n’est fait que de hachures minuscules, magnifiquement rehaussées par les couleurs de Robin Cousin. Rarement s’est autant donné à voir le seul plaisir de dessiner que dans ces pages parfois à la limite de l’abstraction, marquées par des années d’une pratique du dessin presque méditative, dont témoigne encore le très beau Cabanes, récemment réédité par les éditions Misma.

 Yann Fastier