Barbara Balzerani, membre depuis 1975 des Brigades rouges où elle faisait partie de l’équipe de la direction stratégique, a été arrêtée en 1985 et condamnée à 25 ans de prison.

 

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. C’est durant sa détention, à l’isolement, qu’elle a écrit Camarade lune, publiée pour la première fois en 1998 en Italie.

Camarade lune n’est pas une autobiographie à proprement parler. La forme, très littéraire, de ce livre court et dense, l’en éloigne. Faisant alterner des passages racontés à la première personne, où elle décrit principalement ses conditions d’incarcération, et d’autres écrits à la troisième personne revenant sur son parcours et son engagement politique, Balzerani confère à son texte une distance étrange, comme si les événements ne la concernaient pas personnellement. Non pas qu’elle renie ses prises de position et minimise ses actes, elle assume tout, mais la politique, chez elle, semble continuer à l’emporter sur les émotions.

Camarade lune n’est pas un pamphlet révolutionnaire, Balzerani ne dit pas quoi penser. Ce n’est pas non plus le récit historique du mouvement d’extrême gauche, les faits sont énoncés de façon trop elliptiques. Ce n’est pas une confession, la part que l’auteur a prise au combat n’y est qu’évoquée.

Alors, qu’est-ce donc ? Peut-être simplement la prise de parole d’une femme « condamnée au silence, tant on considère illégitime qu’elle emploie des paroles sensées qui puissent justifier ce qui est déraisonnable. » Balzerani ne recherche pas le pardon, elle n’excuse pas ses gestes. Son témoignage a cela de remarquable qu’il n’accable pas plus qu’il n’encense les prises de position des Brigades rouges, mais les restitue, les explique comme partie intégrante de l’Italie des années soixante-dix.

Née en 1949 dans une famille ouvrière soumise aux patrons et à l’Eglise, où sa mère lui enseigne de « ne donner à personne une raison de la regarder une seconde fois », dans cet immédiat après-guerre toujours marqué par les luttes entre fascistes et communistes, la petite Barbara apprend très tôt, qu’en tant que fille, qu’en tant que pauvre, il lui faudra s’arracher à son milieu si elle veut exprimer sa rébellion. Les révoltes étudiantes à Rome en 1968, puis le coup d’Etat au Chili en 1973, sont des dates majeures dans sa formation. S’impose dans son esprit l’idée de deux gauches irréconciliables, une gauche de révolution contre une gauche garante d’être un abri contre le fascisme, en contrepartie du renoncement à la liberté, à l’égalité. Balzerani ne compte pas renoncer. Puisque la politique est inopérante, elle choisit la lutte armée, « le combat direct, sanglant, indifférent au sacrifice de ses jeunes années », elle choisit la guerre clandestine contre le capitalisme, contre l’Etat. Dès lors, tout devient cohérent. Ce sont les circonstances qui poussent les Brigades rouges à agir. Ainsi, la mort d’Aldo Moro, logique, leur est dictée par le refus de la classe politique dirigeante de céder à leurs revendications. Elle n’est qu’une péripétie, comme tant d’autres, de l’Histoire, un détail du processus devant mener à la révolution.

Alors, bien sûr, Balzerani exprime des moments de doute, « des cauchemars, des déchirures profondes », vite balayés de son « existence traversée par des passions démesurées ». Elle écrit : « A moi aussi il arrivait, par choix ou par hasard, d’accomplir des tâches dont le poids ne retomberait pas tout entier sur mes épaules, si grande était ma certitude que j’y étais autorisée du fait de la nécessité historique qui requérait un dernier acte violent pour en éliminer toutes les causes. » La fin justifie les moyens, dit-on, et ceux qui s’engagent à la vie à la mort ne peuvent plus jamais reculer, car considérer que « leurs camarades seraient morts en vain serait les tuer une deuxième fois. »

Camarade lune dérange. La détermination, l’obstination de Balzerani à croire en ses rêves provoque respect et consternation. Les questions qu’elle soulève demeurent d’actualité et les inégalités entre les riches et les pauvres continuent de s’accroitre. N’empêche… Les groupuscules brigadistes ont perdu de leur superbe romantique. Comment pourrait-il en être autrement ? Il semblerait qu’on se méfie aujourd’hui des êtres « trop parfaits pour être humains » prêts à tuer pour servir leur cause.

Marianne Peyronnet