En ce temps d’assignation générale à résidence, où toute licence est laissée à la police de juger du moindre de nos déplacements,

 

 Il est bon parfois de se rappeler ce qu’est réellement la prison. Non pas ce petit paradis dont les gens honnêtes aiment tant à se scandaliser (« Ils ont tout ! La télé, des salles de sport... ») mais une antichambre de l’enfer, où l’on souffre et où l’on meurt. Un endroit où l’on perd tout : travail, maison, familles, amis… ceux qui en sortent, le plus souvent n’ont plus rien, se retrouvent à la rue, contraints, parfois, à une récidive que la prison ne fait rien, n’a jamais rien fait pour prévenir. Il existe cependant des alternatives. Des gens réfléchissent, s’engagent et parfois parviennent à mettre en place des structures de remplacement et d’accompagnement qui ne tardent pas à montrer leur efficacité, tant sociale qu’économique. Car, contrairement à ce qu’on pourrait croire en voyant l’état des prisons françaises, le tout-carcéral coûte cher, beaucoup plus que toutes les autres options réunies. Tous bons contribuables, les offusqués du 20h feraient bien de s’en aviser : l’enfermement systématique n’est pas une fatalité mais un choix et un choix politique, assumé par tous les gouvernements, de gauche comme de droite, au nom de la sainte trouille qui fait l’électeur content. Cela vaut bien quelques impôts…

Sans qu’il soit bien sûr question d’exhaustivité, voici un petit choix de documentaires récents sur le sujet. Tous ne sont pas à la BDHV mais, après tout, qui cherche trouve et on n’a rien sans rien.

 

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Des hommes, de Jean-Robert Viallet et Alice Odiot

25 jours en immersion dans la prison des Baumettes, à Marseille, avant sa destruction définitive. Réputée comme l’une des pires prisons de France, les Baumettes sont depuis les années 30 l’une de ces hontes de la République pour lesquelles la France est régulièrement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Surpopulation, insalubrité, violence… les Baumettes cumulent ce que les prisons françaises ont de pire. Et pourtant, ce sont bien des hommes qu’on y entasse. Le plus souvent des hommes jeunes, le plus souvent des prolétaires, que ce film entend restituer sans commentaire à leur humanité, loin des fauves qu’on aime à nous présenter. Il aura fallu deux ans de négociations aux réalisateurs pour enfin pénétrer dans cet enfer. Le résultat est à la hauteur : avez-vous déjà vu un papillon se cogner et se recogner contre une vitre ?

 

Sur les toits, de Nicolas Drolc

À l’hiver 71-72, les prisons françaises connaissent une grande vague de mutineries. La plus spectaculaire a lieu à Nancy, où les détenus parviennent à prendre le contrôle de la prison et se réfugient sur les toits, depuis lesquels ils affrontent la police et parviennent à faire entendre leurs revendications. Elles n’ont rien d’exorbitant : le renvoi du directeur, un sadique, et des conditions de détention plus humaines, y compris pour le personnel ! Le procès des « meneurs » (arbitrairement désignés parmi les mutins, comme le veut l’usage) mènera cependant à la première grande réforme d’un système pénitentiaire dont l’horreur actuelle peine à faire imaginer ce qu’il a pu être. Fils d’un localier qui, à l’époque, avait « couvert » la mutinerie, Nicolas Drolc en a retrouvé les différents acteurs, mutins et gardiens, mais aussi l’avocat de la Ligue des Droits de l’Homme, Henri Leclerc, qui défendit les accusés, le sociologue Daniel Defert, dont l’action au sein du Groupe d’Information sur les Prisons fut déterminante, avec celle de Michel Foucault et du regretté Serge Livrozet. Très classique dans sa forme, mêlant images d’archives et entretiens, ce documentaire n’en est pas moins précieux pour la mémoire d’un système dont les fondamentaux n’ont pas changé d’un iota. « La prison n’est pas réformable » conclut amèrement Daniel Defert. Elle y aura tout de même laissé des plumes, à commencer par la sinistre et très officielle « ceinture de contention » qui voyait les détenus « agités » étroitement entravés pendant parfois dix ou quinze jours, baignant dans leurs excréments et nourris à la cuillère quand le personnel y pensait. Vous avez dit « France, pays des droits de l’homme » ?

 

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Après l’ombre, de Stéphane Mercurio

D’anciens détenus montent un spectacle avec l’aide du metteur en scène Didier Ruiz. Mais peut-on vraiment encore parler de spectacle ? Tous libérés après de très longues peines, ils racontent la prison, avec leurs mots, sans effets de manche, sans dramatisation ni théâtralisation de ce qui fut pour certains la plus longue part de leur vie. C’est à la fois terrible et d’une humanité absolue. Ces gars-là n’étaient certainement pas des enfants de choeur mais, quoi qu’ils aient fait, fallait-il les retrancher ainsi de la communauté des hommes ? Les voilà, debout, seuls face au public, prenant une parole qui, pour leur avoir été si longtemps refusée, prend des accents de vérité rarement rencontrés au théâtre. L’un d’eux, le plus fracassé peut-être, raconte calmement comment, placé à l’isolement pendant des mois et victime d’une infection dentaire généralisée, il a dû s’arracher lui-même toutes les dents, une à une et sans anesthésie, avec le manche d’une cuillère en plastique. C’est en France, et c’est aujourd’hui.

 

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À l’air libre, de Nicolas Ferran et Samuel Gautier

Moyembrie, une ferme en Picardie, où vivent et travaillent des détenus en fin de peine, dans des conditions qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils ont connu en prison. Ils racontent et se racontent, leurs vies souvent fracassées dès l’origine et l’espoir, enfin, de s’en sortir, qui pour changer de vie, qui pour revoir ses enfants qu’il n’a presque pas connus. Ce ne sera pas facile : tous, en entrant en prison, ont tout perdu et, de l’autre côté, la société ne leur fera pas de cadeaux. La ferme leur offre un sas, un lieu où se reconstruire après avoir été détruits par l’enfermement, un endroit où, pour une fois, on leur fait confiance et où, eux aussi, apprennent à se refaire confiance. Bien sûr de telles structures ne sont pas adaptées à tous les cas de figure et ces détenus sont sélectionnés sur dossier. Mais elles prouvent qu’il existe bel et bien des alternatives au tout-carcéral pour peu que la justice se veuille un peu moins vengeresse et plus réparatrice. Des alternatives, contre toute idée reçue, bien moins coûteuses que la prison qui – soit dit en passant – n’est une bonne affaire que pour un secteur privé en pleine expansion et pas près de lâcher l’assiette au beurre.

 

Waseskun, de Steve Patry

Il n’y a pas qu’en France. Au Canada, Waseskun est une prison sans murs au cœur de la forêt, un centre de ressourcement pour détenus autochtones, Amérindiens ou Inuits (qui, curieusement, fournissent proportionnellement le plus fort contingent de prisonniers), anglophones ou francophones, où ceux-ci peuvent se reconstruire en suivant un protocole mêlant thérapie de groupe et spiritualité locale. Pour presque tous, Waseskun est un répit dans une vie la plupart du temps ravagée dès l’enfance par la violence, la drogue et l’alcool (certains des récits qu’ils livrent, parfois difficilement, font frémir). Un lieu où se reconstruire, encore une fois, où briser le cycle qui, toujours, les ramène en prison, où faire tomber, enfin, les murs de leur propre prison et réapprendre qu’ils sont des hommes.

Présentation par le réalisateur :

Yann Fastier