On méconnaît généralement le cinéma africain, qui donne pourtant régulièrement lieu à de belles réussites
Timbuktu, de Abderrahmane Sissako
Dont l’une des plus récentes, le merveilleux Timbuktu d’Abderrahmane Sissako fut justement récompensé par sept César, dont celui du meilleur réalisateur. Malgré tout, c’était un film à l’occidentale, un film d’exportation, si l’on peut dire, bien fait pour séduire un public international et relativement formaté.
Who killed captain Alex, de Isaac Nabwana (Non disponible à la BDHV)
Tout autre est, par exemple, le cinéma de « Wakaliwood » en Ouganda où, avec trois bouts de ficelle et des acteurs recrutés dans son quartier de Kampala, le réalisateur Isaac Nabwana produit à la chaîne des films d’action qu’on aurait tort de ranger un peu vite dans la catégorie nanard. Inventif, foisonnant, volontairement drôle et subversif, le cinéma de Nabwana innove en permanence, ne serait-ce qu’en agrémentant les représentations des commentaires sarcastique d’un DJ intervenant en live.
Talking about trees, de Suhaïb Gasmelbari
Peut-être aura-t-on également vu le documentaire Talking about trees de Suhaib Gasmelbari évoquer à travers les figures de quatre « vieux fourneaux » du 7e art, un cinéma soudanais naguère très créatif et réputé, hélas mis sous le boisseau par la dictature d’Omar El-Béchir, dont la chute laisse toutefois espérer le renouveau, comme en témoigne le très récent Tu mourras à vingt ans, de Amjad Abu Alala.
Hyènes, de Djibril Diop-Mambety
D’autres sont restés des classiques. Ainsi de Hyènes du Sénégalais Djibril Diop Mambéty, présenté en Sélection officielle au festival de Cannes en 1992 et revisitant à l’africaine La visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt. « Le monde a fait de moi une putain. Je veux faire du monde un bordel. » Chassée ignominieusement du village bien des années auparavant et devenue riche entre temps, la vieille Linguère Ramatou met à prix la tête de son amant de l’époque, le très populaire Draman, tenancier de l’épicerie du coin. Très théâtral dans sa mise en scène, ce film garanti sans le moindre blanc n’en est pas moins une belle métaphore sur la dépendance de l’Afrique aux « aides » occidentales. D’une esthétique soignée, il n’a pas pris une ride, ni sur la forme ni sur le fond, de même d’ailleurs que La petite marchande de Soleil, premier moyen-métrage du réalisateur, qui reste une merveille de fraîcheur et d’émotion.
Atlantique, de Diop Mati (non disponible à la BDHV)
Plus récemment, et pour rester au Sénégal, on citera également Atlantique, de la Franco-Sénégalaise Mati Diop qui, entre fantastique et chronique sociale, évoque le sort des jeunes Sénégalaises restées au pays après que leurs amours se soient perdus en mer en tentant d’émigrer. Tout en nocturnes et en clair-obscur, un film mélancolique, bien loin de la vision convenue d’une Afrique insouciante et colorée.
Les initiés, de John Trengrove
Dans un registre critique assez proche, on ne manquera bien sûr ni Les Initiés, du Sud-Africain John Trengove, qui ne fit pas seulement scandale en abordant de front le tabou encore largement répandu de l’homosexualité masculine mais, surtout, en révélant un certain nombre de secrets du rituel d’initiation Xhosa.
I'm not a witch, de Rungano Nyoni
Ni I am not a witch, de la Zambienne Rungano Nyoni, qui voit une petite fille, arbitrairement désignée comme sorcière par une coutume imbécile, subir un véritable calvaire de « purification ».
Makala, d’Emmanuel Gras
Enfin, et un peu hors catégorie puisque réalisé par un Français, on mentionnera tout de même l’extraordinaire Makala, d’Emmanuel Gras qui, entre documentaire et fiction, vous fera toucher du doigt ce que peut signifier que simplement tenter de survivre en Afrique. Il n’est jamais tout à fait mauvais de nous rappeler à notre condition de nantis. Ce film extraordinaire y excelle. Nous sommes au Congo, dans un paysage de collines desséchées. Un jeune homme y choisit un arbre, l’abat – à la hache – le débite pour en faire du charbon de bois, qu’il charge sur sa vieille bécane pour aller le vendre en ville dans l’espoir d’acheter une ou deux tôles pour couvrir sa maison. Le scénario n’a certes rien de très hollywoodien mais le suspense n’en est pas moins au rendez-vous. Car tout l’art de ce docu-fiction – où chacun joue son propre rôle – est de ne rien nous épargner de l’effort et de la peine de ce jeune père de famille séparé de ses enfants par la misère. Chaque geste y est filmé en temps réel ou presque : la hache entame à peine le bois, le vélo surchargé vacille au bord de chemins défoncés dans une lumière de fin du monde, à la merci des coupeurs de route, on tremble au moindre incident, la fatigue du héros crève l’écran pour nous coller au fond du fauteuil et l’on mesure enfin le sens du mot « précarité ».
Yann Fastier