Né à Bruxelles en 1958, Benoît Jacques est assurément l’une des personnalités les plus singulières du petit monde de l’édition.
Artiste, illustrateur, auteur de bandes dessinées plus inspirées par Dubuffet que par Hergé, il reste surtout le roi sans couronne du Do It Yourself, unique auteur de sa propre maison d’édition dont chaque parution fait figure d’événement annuel auprès d’un cercle de plus en plus large d’amateurs. Des premiers livrets ensachés à sa récente suite « chinoise », son catalogue est jonché d’objets parfaits, d’une malice et d’un humour jamais démentis, au rang desquels figurent les d’ores et déjà classiques La nuit du visiteur (récompensé par un Baobab au salon de Montreuil en 2008), Je te tiens et Scandale au château suisse, ainsi bien sûr que l’inénarrable et indispensable Wa Zo Kong.
Avec plus de trente ans d’existence, Benoît Jacques books est l’un des rares exemples d’autoédition réussie. Pourquoi le choix de l’autoédition ?
C’est parti d’une sorte de dépit plutôt que d’un choix. Le premier livre publié et commercialisé en auto-édition fût « Play it by ear / Leçons de musique », sorti en 1989. À l’époque je vivais à Londres et je gagnais ma vie comme illustrateur. J’avais quelques entrées dans diverses maisons d’éditions et j’ai proposé une maquette de ce livre, persuadé qu’il trouverait preneur.
Je me suis heurté systématiquement au même argument pour justifier de son caractère supposément pas publiable : « On ne comprend pas à qui ce livre s’adresse ». Convaincu par mon projet et soucieux de protéger mon propre enthousiasme, j’ai décidé de prendre en charge sa publication, ma formation initiale de graphiste m’ayant donné les compétences nécessaires. J’ai puisé les fonds dans mes économies, demandé quelques devis d’imprimeurs et je me suis lancé. Le reste a suivi et, 33 ans plus tard, avec « Play it by ear » toujours au catalogue (en une dizaine d’éditions successives), l’aventure est devenue comme un chemin de vie.
Souvent estampillés « jeunesse », vos livres plaisent en réalité à tout âge. Pour qui les faites vous en réalité ?
La question ramène à cette affaire de « à qui les livres s’adressent ». Mes livres s’adressent d’abord et avant tout à moi-même. Ils répondent à des désirs profonds de création, liés à mes humeurs et mes fantasmes du moment. Ils gravitent toujours autour de problèmes que je cherche à résoudre concernant des envies d’écriture ou de fabrication d'images. L’étiquetage inévitable, « jeunesse », « bande dessinée » ou autre, m’est toujours apparu comme découlant de problématiques de commerce et non de création. S’en préoccuper me semble constituer un encombrement inutile qui aurait tendance à éloigner d’une création sincère. Si, avant de se mettre au travail, on se prépare par exemple à faire un livre « pour enfants », on prend le risque de se vautrer dans un paquet de clichés.
Mon éclectisme et mon goût pour une approche ouverte de la création me rendent en tous cas très méfiant à l’égard des catégories. Je sais en revanche, que mes livres n’échapperont pas, une fois publiés, à une forme de catégorisation. J’essaie de ne pas me sentir trop concerné par cet aspect du problème.
Un souvenir personnel – bon ou mauvais – lié aux bibliothèques ?
Je n’ai que d’excellents souvenirs liés aux bibliothèques. La raison en est que la longévité de cette aventure d’auto-édition, je la dois en partie aux fabuleux réseau de bibliothèques et de médiathèques de France. Mes délires d’édition sans éditeur n’auraient pas survécu en Angleterre, un pays auquel je dois cependant énormément. Pas plus tard que l’année dernière, j’ai bénéficié d’une résidence d’auteur à la Médiathèque de Fontainebleau qui m’a donné l’opportunité de présenter l’ensemble de ce parcours de création, avec exposition, lectures de mes ouvrages, performances et rencontres publiques avec consœurs & confrères, ateliers divers, etc. En dépit des soucis sanitaires, l’équipe de la médiathèque s’est mise en quatre pour faire découvrir l’étendue de mes égarements de créateur. Je me saisis donc de la perche pour saluer ici toutes et tous les bibliothécaires de France & de Navarre (et je prie, s’il existe, le Saint des auto-éditeurs pour que les bibliothèques continuent de me soutenir !)