Joy Sorman, née au début des années 70, est une « touche à tout » bien ancrée dans son temps : écrivaine, féministe, parisienne, qui sait aussi s’intégrer avec naturel dans des environnements et des paysages bien différents.
Son premier livre Boys, boys, boys, paru en 2005, explore un thème qui reste d’actualité : être une femme autrement, débarrassée de ses entraves, libre de ses choix, qui invente une nouvelle forme de relation avec un homme. En 2007, avec Du bruit, elle explore l’univers du groupe de rap NTM (peut-être un ressort de ses anciennes prestations de DJ). Puis entre autre, sa curiosité insatiable nous emmène vers d’autres horizons : la gare du nord à Paris (Paris Gare du nord, 2011), la boucherie (Comme une bête, 2013), le corps à travers une étrange maladie de peau (Sciences de la vie, 2017), la folie avec une observation immersive pendant un an au contact direct des patients et des soignants d’un pavillon d’un hôpital psychiatrique (A la folie, 2021).
En 2022, elle enrichit encore sa palette avec un exercice de co-écriture (avec Maylis de Kerangal) d’un récit-roman intitulé Seyvoz, mi réel, mi fantastique (le lac de Tignes n’est pas loin du barrage de Seyvoz). Une histoire de village situé dans les Alpes, englouti à l’occasion de la construction d’un barrage, dont le souvenir est ravivé dans des jeux de mémoire qui s’entrelacent.
Vous auriez pu endosser une carrière de professeur de philosophie, c’est-à-dire exercer un métier de transmission de savoirs. Choisir d’écrire et de publier ses écrits, est-ce aussi pour vous comme une autre façon de transmettre votre connaissance du monde contemporain ?
Je crois qu’il est intéressant de regarder la littérature aussi sous l’angle du savoir, de la connaissance. Lire un roman est l’occasion d’activer des émotions, de ressentir les pouvoirs de l’imagination, mais aussi peut-être d’accéder à une forme de connaissance du monde. Pour moi, c’est un travail qui commence avec l’écriture, j’écris pour connaître ce que je ne connaissais pas. C’est d’abord moi qui apprend, en allant explorer des mondes qui me sont étrangers – la boucherie, l’animalité, la folie, l’architecture… Et j’espère partager un peu de cet apprentissage dans l’écriture.
Vos livres entraînent le lecteur dans des univers très différents : univers conceptuel avec des questionnements autour de l’identité par exemple ou univers plus concret comme le métier de boucher, la maladie mentale. Comment vous viennent ses sujets d’exploration ?
On ne sait jamais très bien d’où viennent les sujets, les envies, c’est souvent un agglomérat de multiples petites choses, une scène dans la rue, un film, un livre, une conversation, un article de presse…, qui déclenchent quelque chose, d’infime au début, et que l’on va creuser, laisser infuser, pour voir si un désir d’écriture s’accroche. L’important est de rester toujours disponible, poreux, pour se laisser traverser par des sensations et des idées – celles des autres – et s’en emparer à son tour.
Quel souvenir personnel, bon ou mauvais, lié aux bibliothèques vous pourriez évoquer ?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille où il y avait beaucoup de livres, à portée de main, je ne fréquentais donc pas les bibliothèques quand j’étais enfant. Je m’y suis rendue beaucoup plus tard, pas en tant que lectrice mais en tant qu’auteure. Et ce qui m’a tout de suite frappée, et plu, c’est que les bibliothèques sont bien plus que des lieux qui proposent des livres à consulter ou emprunter. Ce sont littéralement des espaces de vie, d’accueil, réconfortants et paisibles, où l’on vient chercher beaucoup plus que des livres, parfois se réfugier, se cacher, oublier le monde extérieur, se retrouver, se mettre à l’abri, échapper au cours trop pressé et stressant de nos vies. On y est comme hors du temps et de l’espace, dans une capsule, celle de la littérature sans doute.