Alpes suisses, le 5 janvier 1975 : le luxueux chalet de montagne du patron de presse allemand Axel Springer part en fumée.

 

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L’origine criminelle de l’incendie ne fait aucun doute. La police est sur les dents. On soupçonne le terrorisme international, la Fraction Armée Rouge, la Stasi, la main de Moscou… et on ne trouve rien. 2006 : la prescription étant passée par là, l’écrivain Daniel de Roulet avoue être l’auteur de la flambée. Jeune architecte de bonne famille, encarté nulle part, le futur écrivain n’était guère soupçonnable. Mis au défi d’agir par sa compagne d’alors – qui l’accompagnait ce jour-là et dont il préservera toujours l’anonymat – c’est lui qui prend pour cible Axel Springer, soupçonné d’être un ancien nazi, dont l’arrogante résidence secondaire est en outre un symbole fort de la puissance délétère de l’argent. L’expédition sera rude (d’après des guides chevronnés, ils ont risqué leur vie ce jour-là), pleine de rebondissements (s’étant fait passer pour un médecin dans l’hôtel où ils sont descendus, le futur incendiaire est appelé en pleine nuit pour un accouchement) et d’un romantisme échevelé (les deux tourtereaux sont amoureux fous et, conscients de ce qu’ils risquent, s’aiment à bride abattue). Qu’en reste-t-il trente ans plus tard ? Pour avoir un jour entendu le chancelier allemand Gerhardt Schröder déclarer qu’il passait aujourd’hui ses journées à combattre ce pour quoi il luttait dans sa jeunesse, Daniel de Roulet revient en été sur les lieux de son forfait, dont il n’y a plus guère de traces. Entre-temps, Axel Springer s’est avéré n’avoir jamais été nazi et, si ses virulentes et droitières campagnes de presse ne furent certainement pas pour rien dans la mort du militant Rudi Dutschke, il eut du moins le bon goût de mourir lui-même de chagrin cinq ans après le suicide inexpliqué de son propre fils. Vanitas vanitatum… L’écrivain, pourtant, s’il peut éprouver des remords, n’exprime pas de regrets. Et s’il choisit finalement de publier son récit, ce n’est ni par forfanterie ni pour demander pardon mais parce que son amie et complice de l’époque, malade et se sachant condamnée, le lui a demandé, encore une fois. Ainsi la boucle est-elle bouclée et l’incendie, allumé trente ans plus tôt, peut-il s’éteindre en douceur, au fil d’un récit à la fois drôle et mélancolique, comme l’auteur des Dix petites anarchistes en a le secret.

Yann Fastier