George et Catherine Clare, parents d’une petite Franny, emménagent dans une ancienne ferme laitière,
défraîchie et à l’allure austère, dans un coin de campagne isolé, aux abords d’un village qui a connu des jours meilleurs. Nous sommes en 1979. Ils viennent de New-York et ne sont pas les seuls citadins en manque de nature à racheter une de ces veilles bâtisses si authentiques, entourées de paysages et de visages rustiques à souhait.
Ils ont tout du couple sans histoire. Papa est prof à l’université. Maman s’occupe de son adorable enfant blonde de trois ans.
Huit mois après leur arrivée, Catherine est retrouvée assassinée d’un coup de hache…
C’est par la découverte macabre et l’émoi que suscite un tel événement dans un village tranquille par essence, par l’exposition de ce meurtre dont on ignore qui est le coupable, qu’Elizabeth Brundage choisit de commencer son récit. Elle entreprend ensuite de remonter le fil de l’histoire, de raconter la vie et les liens entre les différents protagonistes. L’intrigue est joliment ficelée mais la découverte de celui qui a fait le coup n’est en rien le point d’orgue d’un roman allant au-delà d’un simple roman à énigme. Son intérêt se situe dans tout ce qui tourne autour, dans ce qui va conduire à la tragédie.
L’auteur prend son temps, d’une écriture ample, magistrale, à l’image du temps qui s’écoule lentement. Elle concentre notre attention sur les sentiments de Catherine, l’épouse parfaite qui fait de son mieux pour s’intégrer dans cette nouvelle communauté sans y parvenir. Déracinée, extrêmement seule, sans emploi, elle se dédie à sa fille et son mari. Les journées sont longues, sans ami, sans personne à qui se confier, d’autant que George tarde de plus en plus à rentrer au bercail et semble se soucier aussi peu de son bien-être que de sa conversation.
Le couple est bancal, le passé les rattrape, les zones d’ombre obscurcissent le tableau idyllique. Le lecteur apprend, sans rebondissements fracassants, toujours avec quelques longueurs d’avance sur Catherine, ce qui cloche chez cet homme bien sous tous rapports. S’il est question ici de l’intime, des liens familiaux, des failles intérieures, ce serait faire insulte à Elizabeth Brundage que de ranger son livre dans la catégorie des thrillers psychologiques. Il n’en utilise aucun des ressorts grossiers et en dépasse la portée. Le destin du couple se confond avec le déclin de l’Amérique, rouvre ses plaies profondes, ses cicatrices, dévoile ses crises. A l’image du simple achat de cette ferme : George la veut absolument, même si sa femme éprouve un étrange malaise entre ses murs, comme si des fantômes l’observaient. Elle est inhabitée depuis longtemps, prétendue invendable car frappée de malheur : elle a appartenu à la famille Hale, dont les parents s’y sont suicidés, rongés par les dettes, laissant trois orphelins, qui rôdent toujours autour de leur ancien foyer. George sait mais reste fier de l’acquérir pour une bouchée de pain et tait les raisons de cette bonne affaire à Catherine. Il devient, dès lors, en plus d’un menteur, en plus d’un homme orgueilleux dépourvu d’empathie, une sorte de profiteur de guerre. Les dés sont jetés.
Marianne Peyronnet