« Catho et policier ? Mon espérance de vie se mesure potentiellement en années de chien. »
Dans ce quatrième volume consacré à Sean Duffy, Adrian McKinty poursuit son exploration d’une des périodes les plus sanglantes de l’histoire européenne récente, celle des Troubles en Irlande du nord dans les 80’s. Même contexte, même localité, mêmes personnages ou presque, mêmes ficelles, on retrouve avec bonheur tout ce qui faisait le sel des trois premiers épisodes. Duffy a pris de la bouteille. A désormais 35 ans, il n’a rien perdu de son cynisme et de son art de la repartie. Toujours désabusé, entre deux verres, entre deux femmes, le seul flic catholique de la RUC continue de vérifier si personne n’a placé une bombe sous sa BM à chaque fois qu’il prend le volant. A Carrickfergus, près de Belfast, le calme n’est pas revenu, au contraire. Nous sommes en 85, l’accord anglo-irlandais initié par Thatcher échauffe les esprits. Accusé d’être une façon de lâcher le territoire pour les uns, de continuer à peser sur la politique de l’Eire pour les autres, il pousse dans la rue des centaines d’émeutiers. Les groupuscules paramilitaires de tous bords paradent. Certains quartiers accueillent les flics au lance rocket. Joli merdier. Dans le chaos ambiant, difficile de rester concentré sur l’enquête en cours. Les investigations de Duffy et son équipe sur l’affaire Kelly - à savoir le fils a-t-il tué ses parents avant de se suicider ?- les mènent sur des pistes aux multiples ramifications.
Par un récit au présent et la répétition des détails prosaïques émaillant l’existence de Duffy, ce qu’il mange, boit, sniffe, fume, le temps qu’il fait, les itinéraires qu’il emprunte, McKinty nous immerge dans l’âme de son (anti)héros. On sait ce qu’il pense, tout le temps. Et ça cogite sévère là-dedans. Sean observe tout. Le moindre levage de sourcil d’un témoin prend des allures de révélation et les récalcitrants ont bien du mal à résister aux sarcasmes assassins du policier frondeur. Faut dire qu’il y a de quoi s’agacer. Dans cette Irlande à feu et à sang, ne rien dire signifie survivre. Pas évident d’accumuler des preuves dans ce silence. Sean stagne, recule, se perd, s’agace, et finit par démêler l’écheveau d’une trame qui dépasse les frontières de son monde, révélant au lecteur des éléments réels de faits historiques sordides.
Mélomane, alcoolique, éperdu de justice, fidèle en amitié, aussi désespéré que désopilant, Duffy s’avère dans cette nouvelle enquête plus irrésistible que jamais.
Marianne Peyronnet