Papa maman fiston, sans virgules, comme une trinité consubstantielle et comme un flux jaillissant, une fontaine d’eau vive.

 

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C’est en tout cas le sentiment que l’on éprouve à la lecture du dernier album de Lucas Méthé, justement distingué à Angoulême : l’impression d’un retour aux sources, une fureur joyeuse, l’enthousiasme des premiers commencements.

Soit, donc, papa, maman, fiston, une petite famille, une chevrette, un saint rustique, quelques drôles et un voisin. La page blanche d’une campagne de conte, bien plus signifiée que décrite, un dessin à la plume et libre de toute contrainte. Difficile de résumer davantage un livre où la seule fonction des personnages – et leur seule action – semble être de s’ébattre. Papa meurt et ressuscite d’une semaine sur l’autre, maman s’en console et jouit de la vie et fiston fait la gueule : ce maigre argument, ces quelques récurrences, ne sont en réalité que le prétexte au constant débordement d’une bande dessinée affranchie des règles et des cases, improvisée avec une fraîcheur de ton devenue rare dans un medium qui ne cesse de croire devoir payer son dû à la Littérature comme aux Beaux arts. Le bon ton, Lucas Méthé s’en soucie comme d’une guigne. Né en 1983, passé maître dans sa pratique après avoir lui-même conté ses apprentissages (Ça va aller (Ego comme x, 2005) puis L’apprenti (Ego comme x, 2010)), ayant dépassé ses doutes, il renoue avec un exercice libre du dessin, tout en gambades et en foucades, où la jouissance du geste artisanal se lit dans le moindre trait, et retrouve la spontanéité d’une écriture délestée des pesanteurs psychologisantes de ses débuts. Ainsi libéré du retour sur soi, le récit va de l’avant avec un naturel qu’on pourrait qualifier de simpliste, au sens où, dans les années 20 déjà, l’entendaient les animateurs du Grand jeu : cette faculté de retrouver « la simplicité de l'enfance et ses possibilités de connaissance intuitive et spontanée ». Cet esprit d’enfance est le cœur battant de l’album, tout comme il l’était dans Les mystères de Jeannot et Rebecca, avec François Henninger (L’atelier du poisson soluble, 2019 – la meilleure chose qui soit arrivée à la BD jeunesse depuis bien des années). C’est la possibilité que tout change, sans cesse, que tout varie, s’arrête, se réoriente et reparte de plus belle. C’est la subversion du roi nu, la magie d’un perpétuel « on dirait que » et le pouvoir tout bête de démourir. C’est pour tout dire l’enfance de l’art. Celle-là même qui était à l’œuvre chez les premiers grands créateurs de la bande dessinée – un Julius Feiffer, un Rudolph Dirks, un George Herriman, desquels Lucas Méthé retrouve pleinement l’esprit va-de-l’avant sans s’encombrer des irritants maniérismes de la lettre qui plombent bien des velléités « rétro ». L’enfance de l’art, donc, à l’œuvre encore chez un Fred ou un F’murr, morts tous les deux et démourus, faut croire, puisque Lucas Méthé.

Yann Fastier