L’endroit où nous avons grandi a-t-il une influence sur ce que nous deviendrons ?

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Cet arbre mort, planté devant une maison délabrée pourrait en tout cas servir d’emblème à l’enfance de Noah Van Sciver, au sein d’une famille mormone marginalisée du New Jersey. Le père, bipolaire, a cessé de travailler depuis longtemps, une flopée de frères et sœurs se partagent un espace restreint, où il faut débarrasser la baignoire de la vaisselle sale pour – éventuellement – prendre une douche. C’était il y a longtemps. Depuis, devenu dessinateur de comics, Van Sciver s’est fait un nom dans le paysage de la BD indépendante américaine, avec des albums comme Fante Bukowski ou Le bord du gouffre. Il n’en oublie pas pour autant ce que fut sa jeunesse, dont ce livre fait en quelque sorte le bilan avec une distance qui n’exclut pas une certaine angoisse, une sorte de honte ou de frayeur rétrospective qui le pousse encore à se sentir radicalement autre en présence des gens « normaux » de son entourage. Le jeune homme poli, effacé, fait alors place au monstre baveux sous le regard légèrement dégoûté de ses amis, de sa copine avec laquelle il peine à entretenir une relation satisfaisante. Le temps guérit tout, dit-on et la résilience vient avec l’âge. Alternant les époques, entre l’enfance et l’heure des choix, ce mince livre de souvenirs au dessin « spontané » en est sans doute une étape cruciale et, surtout, une façon pour l’auteur d’en finir une bonne fois pour toutes avec la figure d’un père à la fois fragile et monstrueux, et qui choisit un jour de s’évanouir dans la nature sans plus jamais donner de nouvelles. Revenu dans le New Jersey, Noah Van Sciver, désormais trentenaire, retourne sur les lieux de son enfance. La maison est toujours là, restaurée par ses nouveaux propriétaires et l’arbre devant le porche a disparu. Il faut parfois se déraciner pour commencer à vivre.

Yann Fastier