Il n’est pas toujours bon d’avoir réponse à tout, les forts en thème ne sont pas forcément les plus heureux des hommes et la bosse des maths ne résout en rien cette équation autrement plus ardue qu’est l’existence.

 

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La preuve par neuf avec le père de l’auteur.

Quiz kids (ici traduit par Les incollables) fut un jeu radiophonique extrêmement populaire aux États-Unis aux alentours de la Seconde guerre mondiale. Des enfants prodiges y répondaient à toutes sortes de colles envoyées par les auditeurs, à charge pour eux de se maintenir le plus longtemps possible dans le peloton de tête. Calculateur surdoué, connu dans tout le pays, à la fois légendaire et détesté, Joel Kupperman en fut l’une des vedettes, jusqu’au déclin de l’émission et la puberté des candidats. Il devait le payer toute sa vie. À l’heure où la démence sénile menace d’effacer définitivement sa mémoire, le dessinateur Michel Kupperman, entreprend d’interroger son père sur une période dont il pressent qu’elle a profondément informé sa propre vie, longtemps restée sur le fil. Devenu professeur de philosophie, universitaire, son père s’est toujours refusé à questionner lui-même cet épisode, qu’il préfère manifestement oublier. Le fils n’en tirera donc pas grand-chose et devra mener son enquête par la bande, à l’aide de documents d’époque, de coupures de presse et de rares confidences extérieures. Ce qu’il découvre est à la mesure d’une existence littéralement étouffée, d’où l’enfant vif et rieur que fut le jeune prodige semble s’être pour toujours absenté, n’offrant qu’une surface imperturbable qu’on soupçonne abriter des abîmes de souffrance. Le vieux Joel n’est pourtant pas sans lucidité : il a parfaitement conscience d’avoir été instrumentalisé, en tant qu’« enfant juif mignon » au moment où il fallait mobiliser contre l’Allemagne nazie une nation encore très imprégnée d’antisémitisme. Il sait que, sans être truqué, le jeu n’en était pas moins « piloté », scénarisé par une production très consciente de ce qu’elle faisait. L’était-elle de ruiner la vie de ces gamins, soumis à une pression terrible pendant toutes ces années ? Rien n’est moins sûr : l’époque n’était pas encore à l’enfant-roi et, au Canada, on connut des quintuplés qui restèrent exposés dans une vitrine jusqu’à l’âge de 8 ans ! Quoi qu’il en soit, aucun de ces gosses ne devait jamais vraiment s’en remettre et chacun devait développer sa propre stratégie de survie. Celle de Joel fut de s’oublier lui-même, ainsi que le reste du monde, enfant compris… On ne se doutait pas de tout ça quand on écoutait le Jeu des mille francs ! Avec cet album au noir et blanc plus tranché que sa conclusion douce amère, Michael Kupperman gagne quoi qu’il en soit sa place au service des grands brûlés de la famille américaine, section bande dessinée, aux côtés d’Alison Bechdel, Justin Green, Chester Brown et tant d’autres…

Yann Fastier