L’intrigue est mince. Hélène, bientôt quadragénaire, a réussi sa vie.

 

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Brillantes études, beau mariage, deux filles, maison d’architecte à Nancy. Elle a réalisé son rêve, quitter la petite ville de l’Est où elle a grandi, s’extirper de sa condition, changer de classe sociale, s’élever par rapport à son milieu d’origine. Christophe, lui, même génération, est resté dans le bled où ils se sont connus il y a plus de vingt ans. Ancienne gloire locale dans l’équipe de hockey et tombeur de demoiselles, devenu vendeur de croquettes pour animaux, il a gardé les mêmes potes, est père divorcé et vit avec son paternel que la démence menace. A l’heure des bilans, et suite à la rencontre fortuite entre les deux personnages, Mathieu s’empare d’un thème qui paraît éculé pour en faire un roman mélancolique, portrait de la France contemporaine, et au-delà.

Une douce violence, telle est la sensation que l’on éprouve à la lecture de Connemara, si juste dans la peinture des relations entre les personnages qu’on la pense par endroits écrite en nous observant. Impossible de ne pas trouver des bouts de soi finement glissés dans les mots de Nicolas Mathieu, des moments forts ou minables de notre existence. Si certains auteurs se contentent de leur nombril comme unique sujet de dissertation, excluant de fait tous ceux qui ne vivent pas exactement comme eux, il n’en est rien ici. Mathieu englobe sans se perdre en digression. Son écriture est à l’image de son propos, dense mais abordable. Des sujets, chaque page en expose plusieurs, par bribes délicates, qui pourraient faire des œuvres complètes chez d’autres. La déliquescence des sentiments, qu’il s’agisse d’amour ou d’amitié ; l’impression d’avoir raté sa vie à l’aube de la vieillesse ; les regrets de n’avoir pas osé plus, ou d’avoir osé trop ; les gens qu’on perd et ceux qu’on n’aurait pas dû retrouver…. Et surtout cette analyse des interactions entre les gens de diverses classes sociales ; l’ambition de se sortir d’un milieu qui vous étouffe pour se retrouver dans un plus étouffant encore, dont on n’a pas les codes… Mathieu continue son exploration de la rage qui habite ceux qui n’ont rien et du mépris de ceux qui pensent avoir. Avec une tendresse infinie envers ses créatures. Qu’elles se contentent d’un verre le samedi soir avec les copains ; qu’elles aient sué sang et eau pour prouver leur valeur ; qu’elles chantent du Sardou les soirs de mariages, ou refusent de le faire alors qu’elles en connaissent les paroles par cœur ; qu’elles soient elle, lui, ou nous.

Marianne Peyronnet