Ça se passe sous De Gaulle, dans un village français, Villeneuve-les-Granges, un village comme un autre, avec sa rue principale, ses commerces, entouré de champs cultivés.

 

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Les installations modernes comme l’eau courante, la chasse d’eau et le tout-à-l’égout commencent à peine à convaincre les administrés, pourtant rétifs aux changements. Passe encore qu’on s’occupe de modifier leur façon d’évacuer leurs fèces, manquerait plus qu’on se mêle de leurs affaires. Les idées nouvelles, celles venues de la Ville, ici, on n’en veut pas. On veut continuer à fumer sa gitane au bar-tabac, descendre son petit jaune dans l’un des deux établissements prévus à cet effet, corriger ses gosses à coups de ceinturon, et sa bonne femme idem. Alors, quand le bon docteur Leroy, dont les ordonnances et autres arrêts maladie répondaient aux attentes, quitte le bled, le chaos s’installe. Le nouveau petit docteur a de drôles de méthodes. Il fait mettre en slip, quand ce n’est pas pire, pour ausculter des patients fort décontenancés, et prétend les mettre au régime. Les conséquences de tels bouleversements sont considérables. Y’a même des morts.

Au village, chacun résiste comme il peut face à l’envahisseur. Les honnêtes gens utilisent des moyens d’honnêtes gens. Coups bas, calomnies, lettres anonymes, les héros ici sont petits. A travers l’évocation de personnages emblématiques, le cantonnier, la tenancière du tabac, la serveuse, Le Fernand, Le Raymond La Rosalie…, Bruno Heitz s’amuse. On est proche de la caricature, seulement proche, l’auteur évitant de sombrer dans la farce grossière. Passant de l’un à l’autre, il incarne les querelles souterraines mais tenaces qui agitent son monde. Les faits s’enchaînent en cascades, dans un rythme soutenu, porté par des dialogues fleuris. Les vies de tous sont imbriquées, chacun sait tout de l’autre et tente d’en tirer avantage, souvent sans succès. La comédie s’installe à mesure des déconvenues des forts en gueule, dans une atmosphère rappelant La guerre des boutons, le film d’Yves Robert. L’auteur se moque gentiment de ses créatures et les femmes s’en sortent mieux, comme les enfants ou les futés en lutte contre les bas du front, dans ce roman pétillant comme une bulle de Picon bière.

Marianne Peyronnet