De son vivant, Françoise Ega (1920-1976) ne fut guère connue au-delà de son quartier de Marseille, dont elle fut une inlassable animatrice, sur le plan social et culturel.

 

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D’origine martiniquaise, elle eut toujours particulièrement à cœur de défendre celles qu’elle appelait ses « sœurs », marquées par la double malédiction d’être nées femmes et noires dans une Caraïbe sous domination blanche. Elle le fit notamment dans ces Lettres à une Noire, discrètement publiées par L’Harmattan à titre posthume en 1978 et aujourd’hui rééditées sous le nouvel éclairage des études féministes et « décoloniales ». En ces années 60 où elle écrit, la bonniche antillaise est à la mode et c’est par bateaux entiers qu’elle assiste, horrifiée, à leur débarquement : « Est-ce la traite ? Est-ce la traite qui recommence ? (...) Depuis que Bécassine ne descend plus de Bretagne, Doudou a pris la relève, on la trouve dans les coins les plus inattendus de France ». Taillables et corvéables à merci, assujetties à leur « madame » par la dette qu’elles ont contractée pour payer leur passage, ces jeunes filles trouvent en « Mam’Ega » leur championne, toujours prête à dire leur fait à des employeuses dont la mesquinerie tourne aisément au sadisme quand elle s’accote aux préjugés racistes. Ce ne serait cependant pas rendre justice à ces Lettres que d’en faire le presque traité de sociologie que survend quelque peu la philosophe Elsa Dorlin dans sa préface, quitte à leur faire servir sa cause sans beaucoup de vergogne. Plus modestement, ce récit peut aussi bien être lu comme le témoignage au quotidien d’une mère de famille qui n’a pas sa langue dans sa poche et la met au service des siens comme d’une littérature dont les apprêts et les codes lui restent largement étrangers. Une littérature prolétaire, donc, comme Henry Poulaille l’appelait de ses vœux dès les années 30, et dont Mam’Ega eût assurément pu figurer comme l’un des plus authentiques fleurons.

Yann Fastier